Le gai savoir des éducateurs : éloge des « transparents »
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Le 18/01/2022
Voici un ouvrage susceptible de vous
toucher en plein cœur ! Il nous invite à rencontrer ces hommes et ces
femmes qui ne font pas de bruit, qui discrètement, vivent une vie d’artisan ou
si vous préférez une vie d’artiste du quotidien. Son auteur Jean-François Gomez
n’en est pas à son coup d’essai. Il en est même à son quatorzième
livre. Il fut éducateur de prévention, puis en institution, directeur
d’établissement en région parisienne et à Montpellier. Un parcours somme toute
assez classique pour ceux qui ont été nourri par des personnalités telles
celles de Fernand Deligny ou de Jacques Ladsous. Il a beaucoup écrit sur le métier,
sur l’éthique et le handicap.
De belles rencontres
L’auteur a un regard aiguisé, il sait
écouter. Il nous propose dans ce livre une déambulation et des rencontres, des
récits de vie, qui n’ont rien à voir avec la méthodologie. Non, il nous fait toucher
du doigt ce qui est sensible et l’on se prend à rêver ou du moins à se
remémorer ce que tout travailleur social a déjà vécu : des rencontres
inoubliables avec des êtres qui ont connu des détresses, mais parfois aussi une
vie tranquille.
Dans une première partie, l’auteur nous
parle de lui de son parcours singulier et de ses rencontres récentes et passées
qui s’entremêlent. Le savoir de ces hommes et femmes qu’il nous donne à voir est empreint de
nostalgie. Pas de regret ni de sensiblerie dans tout cela. C’est plutôt un
voyage qui nous mène de l’enfance à l’adolescence d’un temps qui n’est plus. Un
temps sans écran ni réseaux sociaux. Il donne envie au lecteur d’aller
découvrir ce qu’il partage si bien, son pays d’origine qui a sans aucun doute
façonné sa personnalité. Il nous emmène découvrir des endroits oubliés de la
Camargue au Périgord là où les murs de pierre pétris par le temps et le soleil
nous racontent des histoires de vies laborieuses. Ces murs comme les bâtisses
écroulées sont autant de témoignages de ces hommes des temps anciens que l’on
aimerait tant voir revivre.
Mais passé ce temps, l’éducateur revient
à la charge. Il nous laisse entrevoir les fondements de ce métier : une appétence
pour l’humain dans sa richesse et sa diversité. Beaucoup de scènes rejouées
devant nos yeux nous rappellent à ce que nous avons pu vivre. Je pense par
exemple au rejet de l’autre, de celui qui nous est différent grâce à son
origine. Triste moment que de se rappeler dans le chapitre 10 ceux qui malgré
leurs connaissances et leurs grandes qualités, ne parviennent pas à accepter
l’étranger. Heureusement le père de l’auteur alors adolescent su remettre les
pendules à l’heure.
Des auteurs inspirants
Cette ballade est faite de
nombreuses rencontres avec de multiples auteurs. Chaque chapitre nous
propose de (re)découvrir des ouvrages parfois poétiques parfois cruellement
ancrés dans le réel. Jean François Gomez nous résume ainsi de multiples livres.
En fait il ne les résume pas, il en utilise certains aspects saillants pour
développer sa propre réflexion. C’est fort instructif et chacun y trouvera
matière à penser.
Les chapitres de cette deuxième partie
sont autant d’articles pouvant être lus séparément. On y croise des
auteurs célèbres tels la philosophe Simone Weil, Fernand Deligny, Stanislas
Tomkiewicz mais aussi moins connus tels Jean Cartry, ou Patrick Macquaire
pour ne citer qu’eux…
J’ai particulièrement apprécié cette
rencontre de l’auteur avec Olivier Ameisen (chap.15). Il
nous parle de l’alcoolisme en prenant appui sur son livre intitulé le dernier
verre. Il pense aussi à un de ses amis, ami éducateur lui aussi plongé dans
cette dépendance au point d’en mourir sans que l’auteur n’ait rien pu faire.
Qui n’a pas croisé dans ses rencontres professionnelles des personnes si vives,
si intelligentes, se détruisant à petit feu ? Un gâchis disent certains, mais
que peut-on faire face à des êtres qui ont tous eu à composer avec une blessure
originelle, une félure si profonde si difficile à combler ?
Des passeurs d’humanité
La troisième partie intitulée
« éthique et utopie » nous ramène plus spécifiquement aux sources du
métier d’éducateur. On y retrouve Jacques Ladsous et son parcours exemplaire, Marie-Madeleine
Carbon qui a épousé la cause des enfants handicapés, Jacques Loubet, Francisco
Ferrer qui permet à l’auteur de dire que, pour l’éducateur, la présence est un
acte en lui-même. Toutes ces chroniques parfois courtes et toujours condensées
nous donnent à voir ce que ce métier devrait être loin des protocoles et des procédures.
Les éducateurs sont « des passeurs
d’humanité » du moins pour celles et ceux qui savent écouter, prendre le
temps avec ceux qui ont été déchirés par les épreuves de la vie dès leur plus
tendre enfance. L’auteur nous le rappelle dans son épilogue en nous citant Paolo
Freire : « le but de l’éducateur n’est plus seulement d’apprendre quelque
chose à quelqu’un mais de rechercher avec lui, les moyens de transformer le
monde dans lequel il vit. La pédagogie est une pratique de la liberté.
Jean-François Gomez se prend à rêver : il a envie de
croire que les éducateurs de demain « viendront avec leur gai savoir
racler ces couches d’ignominie qui empêchent d’atteindre le cœur de
l’homme » (et de la femme bien évidemment). C’est le message de ce livre
qui vise à lutter contre ce qu’il appelle la catastrophe qui se déroule à bas
bruit. Celle de la perte de la transmission. Cet ouvrage contribue à l’éviter
si les professionnel(le)s jeunes et moins jeunes s’en saisissent et relie ces
savoirs à ce qui se noue aujourd’hui à l’heure des « fakes-news ».
L’intolérance et le tapage médiatique qui l’accompagne perturbent les
esprits. Ce livre est aussi là pour nous ramener à la raison ainsi qu’à
nous inviter à trouver certaine forme de sagesse.
Jean-François Gomez, Le gai savoir des éducateurs : éloge des
« transparents » – Chroniques et récits Collection
: Histoire de vie et
formation L’Harmattan, 253 pages, 26 euros
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