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Poèmes








Montsegur en Ariège, photo de l'auteur


Les poèmes de Jean François Gomez, ont fait l'objet d’une présentation-lecture à la libraire des territoires à Sarrant le 7 novembre 2014. Les textes ont été lus par la comédienne Anne-Marie Ruault.


MONTSEGUR OU LE TEMPLE INACHEVÉ

Extrait de Hautes Terres, poèmes d'exil et d’initiation, coll. "Témoignages poétiques", L'Harmattan, Paris, 2013.





Sur le Pog
Il n'y a que du néant
Et le château lui-même
Dans son inachèvement
Destruction inachevée
Aux murs jamais finis
D’une pensée jamais finie


Il est dix heures au moins
La neige se met à fondre
Et la terre à ruisseler


La neige la neige encore
En couche mince
Sur les chemins de terre
Sur les toits du village
Sage
Ordonné autour du cimetière bien clos


L'Ariège somptueuse et mordorée
Brille
Sous les tapis blancs


Les choses n'ont pas changé depuis sept cent ans
Elles ne vont pas plus vite que les saisons
Qui savent attendre leur heure


Aux quatre horizons les plaines immenses
Et fertiles
Qui firent se battre Simon de Montfort
Tué au siège de Toulouse
Et le roi d'Aragon très catholique
Tué par l'armée du pape
Et les deux cent cinq ou deux cent dix de Montsegur
Repaire de Parfaits
Qui furent jetés dans les flammes


Aymerie de Montréal égorgé
Et ses quatre vingt chevaliers lui


Etaient-ils cent cinq
Cinq cent ou dix mille
Les assassin de ces bonshommes
Qui infestaient le Pays pays
De leur bonté divine
Au point qu'il fallut les réduire à néant


Mon enfant voilà à tes pieds Montségur
La terre d'Occitanie
Depuis la première marche du ciel
Sa sève n'est pas le vin mais le sang de leur violence violence


Aujourd'hui
Tes chants profonds
Ma terre inconsolée

Semble s'être tus pour toujours
Comme en ce matin glacé de Décembre sur le Pog
Le Pog
Mais ils sont enfouis dans le creux de cette terre
Ils se nichent peut-être malgré eux
Dans la vie des hommes
Leur langue et leurs signes
Comme une braise incandescente
Et minuscule
Qui attendrait le souffle du Cers
Ou de la Tramontane
Un seul souffle
Qui n'en finirait pas de s'éteindre
Prêt à s'embraser à nouveau
A recréer
Avec les flammes de nouveaux bûchers
Des ruées de lumière





Elégie pour un adulte sans importance 


Extrait de l’ouvrage Handicap éthique institution, Paris, éditions Dunod, 2007.    


Je raconterai un crime parfait
Un crime sans assassin
Où les assassins sont des hommes et des femmes ordinaires
Ils vont et viennent
Vêtus des insignes de leur notoriété


J’ai tenu à faire moi-même la déclaration de ta mort
L’état civil
Est au funérarium
Il suffit de monter les étages
Et de choisir parmi les employés
Celui qu’on sent le plus avenant
Le plus gentil
C’est une femme de trente ans
Qui porte des boucles d’oreilles et des colliers
Elle fouille dans des registres fatigués
De plus en plus fatigués
Elle ne fait pas de réflexion
Pas un mot de trop
L’habitude de s’installer dans la douleur des hommes





Remi
Qu’il te soit laissé ton prénom
Même si tu n'as plus de patronyme depuis longtemps
Toi qui n’a jamais rien possédé
Sauf peut-être une concession de trente ans pour ton repos éternel
La dernière fois que je t’ai vu vivant
Tu m’as attiré vers ta chambre où tu avais préparé tes affaires
Tu ne parlais pas
Mais tu savais déjà que je pouvais t’emmener loin de cet hôpital que tu détestais déjà
Tu voulais rester parmi nous

Tu étais très malade
Nous sûmes après coup que ton corps était en miettes
Ton foie parvenu au dernier degré de son pourrissement
Je remarquais tes traits fatigués
Et demandais aux médecins pourquoi pour seul traitement de sortie
Ce ridicule régime sans sel
« Parce que ! c’est ainsi ! » me dit-on
C’était un des plus grands hôpitaux
Un des plus vieux hôpitaux de France et des plus réputé
Remi était sans doute la personne la moins importante au monde
Handicapée
Traînée d’institutions en institutions
Surtout psychiatriques
Il avait
Quand il était venu chez nous
Ce regard hébété des personnes à qui l’on n’a jamais rien demandé de décider
Et surtout pas sur son destin
Ni sa place
Ni sa chambre
Ni son lit
Ni son traitement


L’interne de service avait bien ri de mon inquiétude
Quand je suis allé te chercher
« Mais allons monsieur
Soyons raisonnable
Puis qu’on va collaborer
Puisqu’on va vous donner tous les renseignements
Laissez-nous le temps n’est ce pas ?
Vous ne voyez pas que nous sommes occupés ! »
L’hospitalisation était terminée
Je sentais bien qu’on mettait Remi à la porte de l’espoir
Lui qui avait jusque là franchi toutes les portes du refus



Un "déficient mental" !
Vous n’y pensez pas !
Cela ne peut rester trop longtemps dans un service
D’ailleurs regardez
Il ne tient pas en place
Il ne reste pas dans son lit
Un vrai malade attend d’être soigné


J’ai essayé de parler à ces hommes et à ces femmes
sans désir
Ils occupent un monde inhabité
Sans âme comme ces murs gris souris


Lorsqu’ils parlent à un malade
A une famille c’est pour leur dire de patienter
C’est toujours un patient qui
La porte franchie
Donne son corps à la science

Nous t’avons donc ramené dans l’institution
Et tu étais fou de joie de quitter l’hôpital
Mais une fois là
Parmi nous
Tu n’avais pas non plus ta place
Tu étais trop contagieux


Il a fallu trouver un autre service hospitalier
Où tu pusse être soigné autrement
Nous avons trouvé pour toi
Un service pimpant plein de tableaux et de fleurs
Où les visages étaient ouverts
Disponibles
Conscients de leur charge
Qui était d’accompagner des personnes à travers la détresse et la mort
Sans faire de distinction sur le prix ou le poids de chaque vie


En arpentant les couloirs de ce même hôpital
Je pensais 
A cet autre lieu
Où mon frère trente ans avant
Etait venu mourir à petit feu
D’une maladie de cœur mal soignée qui avait finie par un incendie

Mon père en bleu de travail
Entouré de blouse blanche
Mon père ce héros
Affrontant de toute sa hauteur la parole médicale
Et la vérité terrible que celle ci sous-tendait
Mon père qui n’avait pas eu le temps de retirer son bleu
Et qui apprenait tous les jours
Comme un supplice
La mort prochaine et possible de son enfant chéri



Mon frère
Cet autre enfant-là
avec cette maladie de Bouillot
Qu’on avait pris pour une angine
Qui avait "léché les articulations et mordu son cœur"
Comme disent les livres de médecine que j’ai étudié depuis
Il avait été premier de la classe
Bon nageur
Grand travailleur
Il s'amusait avec sérieux
Et il aimait ses parents
Qui étaient aussi les miens
Et ses parents le lui rendaient bien
C’était leur enfant chéri
J’en étais un peu jaloux
Il était remarquablement doué
On allait le voir tous les jours
Quarante ans après il nous manque encore


Quand on m’a appelé dans la nuit
Pour me dire que c’était fini
Pour Remi
Quand nous sommes allés chercher à la lingerie
Au cœur de la nuit
Les pauvres vêtements pour l’habiller
Des vêtements à son image
Des vêtements d’enfants
Ni vêtements de travail
Ni vêtements de fête
Ni de dignité
Comme cet affreux Mickey-Mouse sur son tee-shirt
Celui qu’il a porté sur lui pour le grand départ
J’ai cru porter avec moi toute l’indifférence du monde



Alors j’ai pensé à tous ces morts
A tous ces mots oubliés
A Albertine Sarrazin enterrée pas loin de là au cimetière des Matelles
Au style à plume en or
Que sortait le médecin quand il prononçait dans notre maison des mots inconnus
Des mots de savant forcément
Dans notre maison de pauvre
J’ai pensé
A l’erreur de diagnostic qui avait empêché de sauver mon frère
A douze ans
Quand il était encore temps
Au savoir qui ne sert à rien
Ni à vivre ni à mourir


Le lendemain
J’ai demandé à voir la direction du grand hôpital
J’avais une énergie qui aurait soulevé les montagnes
J’aurais défoncé les portes à coup d’épaule
J’ai fait convoquer un patron de médecine
Dans le grand bureau du directeur qui sentait venir un énorme scandale
Je lui ai dit à ce "patron" comme ils l’appelaient tous
Qu’il avait détruit le monde
Par manque de compassion
Qu’aucune de ses raisons ne me paraissait excusable
Qu’ils n’avaient pas laissé mourir Remi décemment
Que la vocation première de l’hôpital était d’apprendre aux gens à mourir
Qu'ils n’avaient même pas su faire ça



J’ai rencontré le tuteur
Désigné par le tribunal
Il n’avait pas eu le temps de rencontrer son "protégé"
Et s’en excusait amèrement
Nous avons décidé d’acheter à Remi une concession
Pour qu’il trouve dans la terre ce qu’il n’avait pas eu de son vivant
La tranquillité


Curieusement
On s’est rendu compte que cet adulte à qui on prétendait qu’il n’avait rien
Aucun argent
Même pas de quoi s’acheter des vêtements
Ou de quoi se payer des cigarettes
Qui était venu de l’hôpital psychiatrique avec pour tout bagage un sac poubelle de Prisunic
Avait un bon pactole
Dans un coffre de l’administration
Qui le gérait « en bon père de famille »
Sans doute faisait-elle des placements fructueux pour Rémi dans une autre vie


Curieusement
Ce garçon qui fut enterré sans autre famille que nous
-Nous étions deux à l’enterrement
Le tuteur le curé
Et moi-
Avait des héritiers qui le voulaient
Le pactole
Et qui l’eurent
Du moins en partie


Nous
N’avons que le souvenir
Un souvenir glacé


D’ailleurs aujourd’hui
Qui se souvient de ce mort
Ce mort ancien
Ce mort qui de son vivant
Ne parlait jamais à personne
Il faudrait retrouver les archives
Ou peut-être les centaines de photographies
Que personne ne regarde jamais
Celles qui ont été descendu au rez-de-chaussée
Dans de grandes boites par années
Comme à l' Etat-Civil
Bonsoir mesdames
Bonsoir messieurs
Même si les nouvelles Lois sont belles
Pour protéger les handicapés
La comédie de l’humanité
Est terminée



































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