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Textes



Extraits d'ouvrages de l'auteur

Extrait de :Le Labyrinthe éducatif, considération inactuelles sur le travail éducatif dans les établissements spécialisé, PUF (Presses universitaires de Grenoble, coll. "Handicap vieillissement, société"octobre 2014, p.64, 

"Je vais aggraver mon cas en disant ce que j'entends par le mot institution qui chez moi est loin d'être négatif.L'un de mes maître et sans doute celui qui m'a le plus marqué dans ma carrière fut le docteur François Tosquelles, psychiatre catalan qui avait fait la guerre d’Espagne avec le front républicain. Il dut quitter la Catalogne et  fut placé comme tant d'autres , dans le camp de Septfonds qu'il put quitter après avoir trouvé  l'opportunité du'n travail à l’hôpital de Saint Alban en Lozère.Là, avec quelques autres, il put mener des activités de résistance auxquelles fut mené Franz Fanon, le poète Paul Eluard, le médecin résistant Canguilhem et bien d'autres. Pour lui, la résistance au fascisme était  de même nature que la s  à une idée dépassée de de la psychiatrie  de cette époque.Dans un de ses témoignages magnifiques où Tosquelles présente ses idées, à la fin de sa vie, devant des intervenants de psychiatrie italienne,il parle de l’hôpital comme "une école de liberté".Il fut à l'origine, avec d'autres,d'un mouvement qu'on désigna plus tard comme le désaliénisme psychiatrique proche d'un courant qui devint la psychothérapie isntitutionnelle.(PI).Ce dernier courant est encore vivant,qoui que minoritaire,en psychiatrie ou dans le secteur médico-social et reconnaissant d'une reconnaissance officielle limité."

Extrait de Un éducateur dans les murs, poèmes pédagogiques pour le XXI° siècle
Coll. "Tains sociaux", Téraèdre, Paris, [1978] 2004
"...Ce n'est pas en posant la grandeur de l'homme qu'il faudrait commencer.Comment vous dire?..Ce n'est pas en instituant la grandeur de l'homme par les paroles.On le croirait pourtant, à les écouter, ceux qui ne font que ça, qui ne parlent que de "valeurs"..."Le désir d'extraordinaire, disait Maeterlink, est le grand mal des hommes ordinaires..."La grandeur,ça se trouve pas par hasard sur le chemin dur et brûlant, il faut recommencer à chaque pas.On ne peut pas en hériter.Ce qui est important, c'est de poser l'ensemble des questions nécessaires à notre existence.Mon jardinier sait depuis longtemps qu'il est inutile de rêver à ses salades avant de les avoir semées comme il convient, à la saison qui convient. Malheureusement le monde fourmille de gens qui nous expliquent, souvent, mais il manque tellement de gens qui fondent, qui acceptent, qui proposent et codifient ces choix premiers qui rendent l'homme possible.
Tout le monde essaye de cueillir, personne est là pour semer..."

Extraits de : Rééduquer, parcours d'épreuves et trajet de vie, préface de Jacques Ladsous, Toulouse, Erés, 1992 

"...Auprès des enfants, il vaudrait mieux se méfier de n'être qu'un morceau de discours action attach : paramètre file manquant
. Si l'on ne change pas sa vie en même temps que la leur, il y a fort à parier qu'ils vous prendront pour un bonimenteur de foire ou un camelot..."

Extraits de : L’éducateur et son autre histoire, mort d'un pédagogue, Préface de Gaston Pineau, Les deux continents, Genève, 1994.

"...Ainsi, à la fin,dans mon univers libéré de toute haine, de toute culpabilité, de toute religion,dans une maison secrète de quelque pays sans nom où nous parlerons toujours prés de l'âtre, je deviendrai capable de contenir et de comprendre la peur de l'enfant-pas-comme-les-autres.
Je pourrai lui tendre la main pour l'aider à vivre, ayant réussi à libérer cet amour qui était resté jusqu'à-là étouffé, fragile, peureux...Alors, l'ancien pédagogue me fera sourire.
Apaisés tous les deux, nous digérerons ensemble notre passé, et nous quitterons le centre des choses pour rejoindre un lieu parfait où les silences et les gestes vaudront plus que les idées. J'aurai perdu le sens de mon importance, trop engagé dans le souffle du jour, trop pris par la chair fraîche des mots..."



Interviews


Différentes interviews réalisées par JF Gomez et parues dans la revue CULTURES & SOCIÉTÉS :



Présentation: les contacts que nous avons eus avec le psychanalyste et écrivain Gérard Haddad à la suite de deux présentations de ses livres dans notre revue nous ont donné l’idée d’une rencontre et d’une interview, à laquelle celui-ci s’est prêté volontiers. Gérard Haddad, né en Tunisie en 1940 s’est fait remarquer par le grand public avec un livre sur sa rencontre avec Jacques Lacan : Le jour où Lacan m’a adopté. Ses travaux concernent tant la clinique – comme on le verra dans les lignes qui suivent, que la connaissance de l’hébreu et ses traductions, le fait religieux , la question éthique. Sa critique des dérives de la psychanalyse de son temps (il parle de la « structure mafieuse de la psychanalyse» !) l’a mis dans une position sans doute assez décalée vis-à-vis de ses collègues. Les questions pour Cultures & Sociétés lui ont été posées par Jean-François Gomez.



1 C&S : Gérard Haddad, quand on examine votre parcours, on ne peut qu’être frappé par des ruptures, ou des révélations fortes, des « conversions » même, bifurcations importantes dans votre vie. Dans ce sens, l’ouvrage que vous avez écrit sur votre rencontre, qui a duré onze ans, avec Jacques Lacan, a quelque chose de bouleversant. Ingénieur agronome, vous découvrez la psychanalyse et vous changez complètement de direction à travers un itinéraire sans doute coûteux : médecine, psychiatrie, puis psychanalyse. Plus encore, une des grandes révélations de votre vie semble avoir été la redécouverte du sentiment religieux qui vous a conduit à des ouvrages tels que L’Enfant illégitime, Manger le Livre, Les Biblioclastes, Le péché originel de la psychanalyse …


G.H. : Mon parcours de vie est constitué, comme pour chacun, de l’effort pour surmonter certaines impasses aigües personnelles, amoureuses et sexuelles, religieuses, politiques ... Cela s’est traduit par ce que vous appelez des « conversions ». Le mot ne me déplaît pas. La psychanalyse entretient avec le phénomène de la conversion des liens étroits. Souvenons-nous : au départ de Freud, nous trouvons le déchiffrage des hystéries de conversion.


Dans l’hystérie, l’inconscient affleure, raison pour laquelle Lacan soutenait qu’il n’y a pas d’analyse sans hystérisation de l’analysant.


Au départ, je demandais à la psychanalyse la sédation d’une certaine souffrance. L’ai-je trouvée ? Je n’en suis pas sûr. Par contre, comme dans la fable du laboureur et ses enfants, cette même analyse m’a conduit en des territoires que je ne soupçonnais pas, parmi lesquels la découverte de la puissance du sentiment religieux, qui n’est sans doute que l’envers de l’angoisse de castration, c'est-à-dire l’angoisse de mort.


Ce sentiment religieux peut prendre les formes les plus diverses. Il prit un temps chez moi, la forme paradoxale d’un athéisme violent accompagné d’un engagement politique radical, avant de me rendre compte que sa forme première était l’amour du judaïsme de mon enfance, de ses textes.


Cette reconquête du territoire religieux, que Lacan avait pressenti dès notre première rencontre, allait me permettre de résoudre certaines impasses théoriques laissées par Freud, comme celle de l’identification primaire, ce que l’on appelle l’identité. Ce fut Manger le Livre. L’intérêt de ce travail fut de prolonger les intuitions fondamentales de Lacan. Que mes collègues qui se disent lacaniens ne veuillent pas en tenir compte les conduit à la stérilité théorique. Un peu à la manière de l’IPA qui, en refusant l’enseignement de Lacan, s’est stérilisé théoriquement.

Il reste que Lacan avait soulevé en moi un orage religieux qu’il ne parvenait pas, ou mal, à canaliser. Ce sera, plus tard, la rencontre décisive de Leibowitz qui me permit de trouver un centre de gravité stable entre raison, foi et politique.

Au passage, j’ai traversé cette expérience tout aussi exceptionnelle qui est celle de la médecine, laquelle m’a contraint à une confrontation directe au corps souffrant et au cadavre.

2 C&S - A côté de votre œuvre personnelle de psychanalyste- auteur, votre engagement dans la pensée de Yeshayahou Leibowitz (1903-1994) semble avoir été une aventure. Aventure de la traduction, d’abord, mais aussi la rencontre d’un être exceptionnel. Ce type de relation maître- disciple, vécu, semble-t-il d’abord dans la fameuse rencontre avec Lacan, est-il une affaire de transmission typiquement judaïque ?

G.H. : La rencontre, bien tardive malheureusement, de cet être exceptionnel que fut Y. Leibowitz, fut un autre moment décisif de mon parcours. Il m’arrive de penser que cette rencontre me permit de finir mon analyse. Je retiens de l’enseignement reçu de lui, à travers les 8 livres que j’ai traduits, mais aussi de nos quelques rencontres, trois enseignements fondamentaux :

a) L’adhésion à la pensée de Maïmonide qui permet de vivre son sentiment religieux sans renoncer d’un iota à la liberté de penser. C’est d’abord dans cette passion commune pour le maître de Cordoue que s’est lié entre nous une relation très forte, de type transférentiel.

b) L’éveil à la question palestinienne, à l’injustice faite au peuple palestinien. Cette injustice est comme un boomerang qui fait retour sur le peuple juif et qui est en train de ravager sa culture, ses valeurs, et qui constitue une menace de mort interne.

c) La mise au point sur la question des neurosciences, discipline scientifique qui était la sienne, dont les progrès remarquables ne sauront jamais répondre aux questions que pose la subjectivité humaine.

Quant à votre question sur la relation maître / disciple, elle n’est nullement spécifique à la culture juive. Il n’en allait pas autrement dans les Grandes Ecoles de la philosophie grecque. Sans cette relation vécue, incarnée, toute formation reste bancale, anémiée. C’est un des ravages causés par Mai 68 d’avoir grandement endommagé cette relation. On voit où en est aujourd’hui la culture française, dont le prestige à l’étranger a bien décliné.

3 ) C&S : En un sens, c’est votre ouvrage La lumière des astres éteints, qui nous a donné l’idée de cette interview. Pour nous, il s’agit d’un grand livre, mais qui ne concerne pas seulement la caste des psychanalystes. Or, nous avons constaté avec étonnement que cet ouvrage avait été éreinté par quelques uns de vos collègues. Comment comprenez-vous la façon dont ce livre, qui évoque la question des camps et sa résonnance dans le monde contemporain, a pu être reçu, ici ou là ?

Cet ouvrage fut celui qui m’a donné le plus de mal. J’y travaille, à travers des conférences, des lectures, des articles, depuis 1982. A l’époque, avec Anne-Lise Stern, j’étais un des rares à m’intéresser à la question de la clinique des camps. Le film Shoah ne devait sortir que trois ans plus tard, en 1985. A ce moment-là, un petit groupe de psychanalystes s’est agglutiné autour de ce film. J’étais, entre temps, parti vivre en Israël. Il m’est arrivé, plus tard, de participer à certaines activités de ce groupe, plus par amitié pour certains membres que par intérêt pour la qualité des réflexions, que je trouvais très confuses, de ce groupuscule. Dans mon livre, j’ai omis de parler des travaux de ces gens là dont au demeurant, je ne sais quoi dire. Cela a déclenché leur rage, considérant cette question comme leur affaire exclusive. Elle s’est traduite par une campagne de calomnies sur internet qui m’a affecté, venant de personnes que je considérais comme des amis. L’un d’entre eux m’a réclamé six mille euros. La plupart des autres analystes dits « lacaniens », ont fait silence sur mon travail.

Mais il y a à cette affaire des raisons plus profondes. Tout d’abord la tension qui existe entre les différentes chapelles « lacaniennes » et moi qui ai pris mes distances avec toutes. Je ne peux pas adhérer à ces groupes sectaires qui sont en fait des petits business familiaux, ayant adhéré au discours universitaire que Lacan avait violemment dénoncé. C’est la trahison générale des disciples.

Par ailleurs, je n’éprouve pas de dévotion particulière pour le film Shoah de Lanzmann, très esthétique, très descriptif, une sorte de grand et beau documentaire, bouleversant sans aucun doute. Mais que nous apprend-il sur les ravages à distance du Camp ? Rien ! Un livre comme « Si c’est un homme » de Primo Levi, ou Austerlitz de W. G. Sebald nous en apprend beaucoup plus. Lanzmann m’avait dit un jour : « Toute réflexion sur la Shoah » doit passer par mon film. » C’est une folie à laquelle beaucoup d’analystes ont adhéré. Ajoutez mon intérêt pour Hanna Arendt, vomie par ces milieux. Il y a en fait derrière ce film une manœuvre politique que le film suivant, Tsahal, va révéler, à savoir l’utilisation de la tragédie du peuple juif par la politique agressive israélienne. Or il y a dans mon livre une dénonciation de cet usage Je me suis appuyé pour cela sur les travaux du meilleur spécialiste israélien de la question, le regretté Shamaï Davidson. Aucun des medias communautaires ne m’a invité à parler de ce livre, ni n’a voulu en parler. Autant vous dire que le jugement que vous portez sur mon livre est d’un grand réconfort.

C & S.Dans un numéro de revue1 vous donnez à un de vos articles le titre : « Israël, le pays qui avance sans but. » Vous n’êtes pas tendre pour Israël. Par ailleurs, vous avez vécu quelques temps dans ce pays pour finalement "en revenir". Il s’agit d’une position assez exceptionnelle, à notre connaissance, d’autant que vous vous définissez comme un "juif croyant". On peut supposer que votre désaccord est politique. S’agit-il du règlement toujours différé de la question palestinienne ?

1 La Revue, Juillet août 2012.

Bien évidemment, mon désaccord est politique et il va s’approfondissant. Le sionisme auquel j’ai un moment adhéré était celui de la langue, de la culture. J’ai été un sioniste fervent et quand on est sioniste on va vivre en Israël, ce que j’ai fait. J’en suis revenu.

J’ai traduit de l’hébreu l’autobiographie de Ben Yehouda à qui l’on doit la résurrection de la langue hébraïque comme langue parlée. Contrairement à Herzl, Ben Yehouda reconnaissait les droits des Palestiniens et souhaitait la coexistence des deux peuples.

Le nationalisme millénariste qui règne désormais en Israël, est porteur de catastrophe, pour Israël d’abord, pour le peuple juif tout entier ensuite. Au-delà, pour la paix régionale, voire mondiale.

L’oppression de millions d’hommes privés de droits est insupportable pour un juif qui connaît et aime son héritage. C’est l’opinion de nombreux croyants, comme l’était mon maître Leibowitz. Malheureusement l’impasse est totale. Les dirigeants israéliens ne veulent pas d’un accord. Ils ont refusé de discuter du plan du Roi Abdallah. Ils cherchent à gagner du temps. Mais qu’ils disent dans quelle perspective !

Chacun le sait, Il n’y a que deux solutions : soit le partage de la Palestine, soit la création d’un Etat binational. Or les dirigeants israéliens ne veulent ni de l’un, ni de l’autre. Ils veulent un apartheid soft. Cette position est contraire à l’esprit fondamental du judaïsme.

C &S. Votre dernière "conversion" est étonnante. Dans votre livre Tripalium (2013) dont nous avons fait la recension1, vous redevenez agronome, en quelque sorte, et racontez votre première expérience au Senégal en Casamance. Le psychanalyste que vous êtes, qui a tant travaillé la question du père et de la transmission, se remet donc à examiner la relation de l’homme à la terre-mère nourricière. Comment expliquer ce retour aux sources ?

Dans le mille feuille d’une vie, les premières étapes du parcours marquent de leur empreinte le reste (cf. Lettre 52 de Freud à Fliess). Je n’ai pas été un agronome de salon ou de bureau, mais de rizière. Je m’étais totalement investi dans cette activité magnifique.

Et puis, il y a cette question, telle un trou noir, de l’origine : Celle de la pensée, du langage, du travail. Elle est incluse dans mon « être agronomique ».

Ce Tripalium fut mon premier essai théorique, esquissé il y a plus de trente ans. Il renferme une trouvaille, un concept nouveau. Je me devais de le publier. Vous avez raison de soulever la « question du père » qui est l’axe de tout mon travail. Sauf que dans ce grand mystère qui préside à la reproduction humaine, et qui transcende tous les paramètres biologiques, il ne m’avait jamais échappé que le mot « paternité » n’était que l’enveloppe symbolique de la maternité, de ce grand mystère de la féminité qui a été la grande question de ma vie.

Dans mon livre sur l’alcoolisme au féminin, j’ai lancé l’expression de pa(ma)ternité , qui n’est que l’explicitation de l’algorithme lacanien du Nom-du-Père = signifiant paternel/ désir de la mère.

Sur ce point au moins, il n’y a pas « conversion », mais explicitation et approfondissement.

C&S Sur quoi travaillez-vous actuellement ?
Avec Tripalium j’ai, d’une certaine manière, achevé ce que j’avais à dire. Il m’a fallu trente ans pour transcrire les idées que j’avais élaborées au cours de mon analyse. Je n’ai jamais choisi mes thèmes de travail, ce sont eux qui sont venus à moi et qui m’ont travaillé.

Aujourd’hui, j’ai, à côté de mon quotidien d’analyste, une activité de journaliste, profession passionnante en tant que fenêtre sur le monde, sur le grand large. C’est ma dernière conversion, diriez-vous.

L’évolution que connaît le monde juif m’inquiète. Le fanatisme m’inquiète. Est-il le fruit du monothéisme auquel je suis pourtant profondément attaché ? Je souhaite mettre au clair mes idées sur cette question.

J’aimerais aussi satisfaire une autre de mes passions, celle de conteur, et pour cela écrire du romanesque. Mais je n’ignore pas l’heure qu’il est à l’horloge de ma vie.


Gaston Pineau, professeur en Sciences de l'éducation et spécialiste des récits de vie en formation permanente, le 16 janvier 2010.

Gaston Pineau est né en 1939 dans un petit village de l’Ouest de la France. En 1985, après de nombreuses expériences, en France, dans le monde agricole et ouvrier, un périple dans le domaine de la formation pour adultes et, au Québec, dans la Faculté d’Éducation Permanente de l’Université de Montréal (il bénéficie de la double nationalité), il occupe un poste d’enseignant-chercheur à l’Université de Tours. Son œuvre, dans le domaine des Sciences de l’éducation, multiple et transdisciplinaire, au carrefour de l’éducation permanente, de la biographie et de l’autobiographie touche à l’anthropologie. C’est en même temps une microsociologie du sujet qui se présente comme une étude minutieuse des processus d’auto-formation chez l’individu. Soucieuse du dialogue sujet-environnement et Aux frontières des organisations (c’est le tire d’un de ses ouvrages), elle demeure soucieuse des conditions d’apprentissage qui échappent, peu ou prou, aux systèmes institutionnels codifiés. Tout un mouvement de recherche, particulièrement dynamique actuellement - c’était le sujet du numéro de Cultures & Sociétés dirigé par Remi Hess - et qui se développe au delà de nos frontières, se réclame de son enseignement et de ses travaux.
On pourra citer parmi une vingtaine d’ouvrages publiés : Les combats aux frontières des organisations. Un cas universitaire d’éducation permanente (1980), Produire sa vie : auto-formation et autobiographie (1983, réédition prévue pour 2010), avec Jean-Louis Le Grand, Les Histoires de vie (1993), avec Jean-Pierre Boutinet et Noël Denoyel, Penser l’accompagnement adulte. Ruptures transitions rebonds (2007), avec Bachelart, Consiro, Gimonet et Puig, Alternatives socio-éducatives au Brésil. Expériences d’un Master international (2009).


Jean-François Gomez, qui fréquenta ses cours à l’université de Tours puis la formation doctorale qu’il animait à Chaingy avec Georges Lerbet, en 1990-1995, a recueilli cet entretien pour Cultures & Sociétés, le 16 janvier 2010.

Cultures & Sociétés : C’est un plaisir pour nous, à Cultures & Sociétés, de te retrouver pour un dialogue à travers cette interview. En fait, pour ma part, il n’a jamais été rompu. Je crois me souvenir que tu avais participé, à l’époque, à une des premières revues lancées par Armand Touati, qui s’appelait Cultures en Mouvement auquel participait également Martine Lani-Bayle, passée aussi par ton enseignement à Tours - elle était parmi nous aux journées de Strasbourg de Cultures & sociétés en août 2009. De plus, cette interview s’inscrit dans la suite de notre numéro 12 coordonné par Remi Hess et Kareen Illiade, sur « Les formes de l’écriture impliquée », question qui, en un sens, est très voisine des histoires de vie. Finalement, les Histoires de Vie, ce courant de réflexion et de recherche profondément marqué par l’humain, c’est toi qui l’as impulsé, avec quelques autres.

Gaston Pineau : Tu as raison de dire « avec quelques autres ». Pour mon départ de la vie salariale, une proche collègue, Christine Abels, a pris l’initiative de faire croiser sur mon trajet, les regards d’une vingtaine de compagnes et compagnons de route. Elle les rassemble dans un ouvrage à paraître, en 2010, Gaston Pineau, trajet d’un forgeron de la formation. Regards croisés de compagnes et compagnons de route. Ces compagnes et compagnons ont pris la plume avec bonheur pour mettre en évidence des rencontres, des recoupements des trajets communs, des lignes de partages dans le champ qui nous occupe. J’y réponds dans un texte conclusif à ma façon. En remerciant bien sûr Christine Abels, chercheuse en sciences de l’éducation qui fut longtemps formatrice d’adultes et qui a pris cette initiative, mais aussi en disant ce que je dois à une multitude de chercheurs ou « trouveurs », plus ou moins obscurs, plus ou moins connus ou reconnus, qui m’ont précédé ou accompagnés. Tous n’ont pas écrit dans ce livre.

C. & S : Des compagnons que tu as rencontrés dans plusieurs périodes de ta vie, nous allons en reparler. Mais avant cela, avant de revenir aux origines puis au cheminement de tes expériences, toi qui as été si attentif à celle des autres, pourrais-tu nous dire quelques mots sur ce courant (je n’ose dire cette méthode) que tu as contribué à animer et à impulser ? D’abord, il me semble très organisé et revêtir, de plus en plus, un caractère international.

Gaston Pineau : Ce courant, que j’appelle de recherche-action-formation existentielle en histoires de vie, a eu sa période d’émergence dans les années 80. Les années 90 sont celles de son organisation par la fondation d’associations régionales, nationales et internationales. Il existe actuellement plusieurs associations de recherche et de formation en Histoire de vie : L’association internationale des histoires de vie en formation, créée en 1991 (ASIHVIF), Histoire de vie Grand Ouest (HIVIGO) créée en 1995, que tu connais, le Réseau québécois pour la pratique des récits de vie (RQPHIV). De plus, et depuis peu, le Brésil s’est intéressé à ce mouvement et à ses travaux. En 2006 a été créée l’Association du Nord-Est des Histoires de vie en formation du Brésil (ANNHOVIF) et, en 2008, l’Association brésilienne de Recherches Autobiographiques. De plus, comme tu le sais, pour y avoir publié un ouvrage, j’ai lancé à L’Harmattan la collection « Histoire de vie et formation », avec deux volets : l’un théorique, l’autre narratif. Près de cent titres ont déjà été publiés. À Tours, les Masters d’Ingénierie de la formation et d’accompagnement et, au Brésil, le Master international Formation et développement durable ont permis de travailler des alternatives socio-éducatives avec ce courant. Deux ouvrages récents en rendent compte : Pratiques réflexives en formation. Ingéniosité et ingénieries émergentes (Guillaumin, Pesce, Denoyel, 2009) ; Alternatives socio-éducatives au Brésil. Expérience d’un master international (Pineau, Bachelart, Couceiro, Gimonet, Puig, 2009).

C. & S : Que pourrais-tu dire, donc, de la méthode elle-même à des profanes qui peuvent être impressionnés, a priori, par l’ampleur de l’affaire ? Parce qu’a priori, tout le monde raconte des histoires, et le « stories telling » est à la mode.

Gaston Pineau : Rien à voir avec le stories telling et son instrumentalisation à des fins politiques ou autres. En fait, tout le monde raconte des histoires ou en entend, et cela commence par le récit de sa propre vie, dont une partie a fait l’objet, comme toujours, d’une retransmission. L’aventure commence pour le chercheur, lorsqu’il se met à repérer les processus à l’œuvre qui sont d’une époustouflante complexité, comme la vie, et qui suppose une poïesis, un travail d’élaboration dont l’acteur n’a pas toujours conscience. On se rend compte qu’à travers ces histoires et leur maniement se mettent en place des processus d’auto-formation, de co-formation et d’éco-formation, autant de processus d’intégration réflexive qui sont au travail dans les temps et les contretemps de l’existence. Les notions de projet, de trajet et de sujet, comme l’avait montré le regretté Henri Desroche s’y entrecroisent comme une fugue à plusieurs voix.

C. & S : Cette façon de raisonner, en rythmes ternaires, à travers des pôles qui s’appellent et se répondent, est très importante dans ta pensée. On la trouve en anthropologie dans les trois temps du rite de passage. Les compagnons l’appliquaient, eux qui étaient hommes de trajets, à travers les étapes de formation et les voyages : aspirants, compagnons, maître d’œuvre ou compagnon fini.

Gaston Pineau : J’ai fini ma carrière professionnelle à Tours. Lorsqu’on a passé une partie de sa vie dans cette ville, ville par excellence du compagnonnage, dotée aujourd’hui du fameux musée du compagnonnage et où les traces de ce mouvement sont encore très vivaces, quand on s’intéresse aux métiers manuels comme moi, on ne peut pas ne pas se référer au compagnonnage. On peut penser aussi à la structure ternaire des études universitaires, calquées en fait sur les métiers manuels avant qu’on ne parle de Master I ou II : Licence, Maîtrise, Doctorat. Ces étapes ont été inspirées par les métiers manuels. Plus on étudie ces questions, plus on rentre dans ce que j’ai appelé la dimension anthropo-formatrice. Ce modèle, je l’ai rencontré aussi dans mon enfance, mes origines qui m’ont mis en relation avec les métiers de la forge, et la compétence manuelle, donc.

C. & S : Et bien c’est par là justement qu’on pourrait reprendre les choses ; le fait que ton enfance se soit passé dans l’entourage des forgerons, ces artisans autour desquels s’organisait autrefois la vie de tout un village…

Gaston Pineau : À l’occasion de l’ouvrage qu’est en train de terminer Christine Abels dont je parlais, livre de mélanges qui évoque mon parcours, j’ai donné un texte que j’intitule « La création forgeronne ». J’y raconte quelques bouts de mon histoire d’enfant qui sont liés, justement, au métier de mon père. Mon père était forgeron. Mes frères étaient forgerons et l’on rencontre des forgerons, dans ma famille, sur quatre générations. Je vois encore et j’entends les gestes et la musique des marteaux sur l’enclume dans cette forge qui se trouvait au dessus de notre chambre à coucher. J’y entendais les conversations des clients, les rencontres et les disputes, comme la rumeur du monde venue jusqu’à nous. Devenu un peu plus grand, on m’a mis la main aux outils et l’on m’a fait pousser la chaîne du soufflet. Ces premiers moments et leur saveur particulière m’ont fait tout naturellement rencontrer, plus tard, un texte du philosophe Bachelard sur la création forgeronne, titre que j’ai donné à mon texte, qui est une relecture de ma vie. La forge, suivant Bachelard, est un lieu archétypal tout rempli de contrastes. On y voit « la maîtrise du temps confrontée à la violence de l’instant ». Les procédures y sont essentielles, ce qui nous conduit encore à une structure ternaire, celle des trois temps opératoires décrits par Paul Ricœur : d’abord une construction historique : préfiguration pratique de l’expérience, puis la configuration épistémologique de la narration, puis encore, la refiguration herméneutique par l’écoute et par la lecture.

C. & S. : Peut-être peux tu nous dire maintenant à partir de quel cheminement l’enfant qui contemplait la forge de ses aïeux s’est trouvé professeur à Tours à 46 ans et jusqu’à 67 ans ?

Gaston Pineau : Les grandes étapes institutionnelles sont simples. À vingt ans, j’interromps mes études classiques pour faire un travail d’ouvrier agricole en France puis en Espagne. Je suis un rural déraciné. Je comprends que la forge est en perte de vitesse et que l’on vit ses derniers instants. C’est la fin d’une transmission intergénérationnelle. Je vais donc voir ailleurs et je me cherche. Je découvrirai les sciences de l’éducation dans les années soixante à travers mes engagements militants. Cela me conduira à faire une thèse en Sciences de l’Éducation à l’Université Paris Sorbonne, dans la première promotion qui existait. En 1973, je soutiens ma thèse devenue un livre publié beaucoup plus tard, en 1980, Les combats aux frontières des organisations (Montréal, A. Saint Martin).

En parallèle, j’ai d’abord travaillé en 1968-1969, comme conseiller d’orientation dans un premier service naissant d’orientation des adultes au Centre universitaire de Coopération Économique et Sociale (CUCES) de Nancy. La Lorraine, pays minier, anticipe les rudes reconversions d’une société industrielle en mutation profonde. À la recherche d’alternatives à l’école, dans la dynamique désinstitutionnalisante d’Yvan Illich qui publie dans ces années Une société sans école, je me retrouve au Québec dans la faculté d’Éducation permanente naissante de l’Université de Montréal (1969-1985).Vient alors mon livre publié en 1984, écrit avec Marie-Michèle, une mère de famille québécoise, sur sa vie, qui s’appelle Produire sa vie. Auto-formation et autobiographie.

C. & S. : C’est un livre important. Cet ouvrage de plus de 400 pages sur un seul objet, sur une seule histoire de vie est une révélation. C’est le début d’une élaboration théorique dont l’histoire de Marie-Michèle est l’occasion. Car les bases de la méthode sont jetées dans ce livre qui, malheureusement n’a pas été republié.

Gaston Pineau : Mais il va l’être bientôt, Marie-Michèle ayant levé dernièrement son véto. Ce travail va continuer avec ma thèse de doctorat d’État, Temps et contretemps en formation permanente qui deviendra là aussi un ouvrage publié. En 1985, ce travail et la rencontre avec Georges Lerbet, professeur en sciences de l’éducation qui fut mon directeur de thèse, passionné de systémique, me donnera l’accès à un poste d’enseignant chercheur à l’université François Rabelais de Tours.

C. & S. : Je suppose que ce fut l’occasion d’autres rencontres et que cela t’a permis de donner un autre impact à la question des récits de vie. Pour reprendre une de tes expressions, tu as pu, enfin, « faire rentrer la méthode en contrebande dans l’univers savant ».

Gaston Pineau : J‘ai pu faire rentrer, effectivement, l’approche des Histoires de vie comme méthode de recherche de formation en alternance et production de savoirs dans des formations d’adulte couronnées par des diplômes de second ou troisième cycle. Le DUEPS (Diplôme Universitaire d’Études de Pratiques Sociales), les Masters de Stratégie et ingénierie de formation. L’ensemble de ces expériences menées depuis Tours m’ont permis de trouver plusieurs relais en Europe et en Amérique du Sud et du Nord. Ma double nationalité m’y a sûrement aidé.

C. & S : On pourrait parler maintenant de tes rencontres. En effet, le DUEPS, cela fait penser à Henri Desroche, créateur des collèges coopératifs, homme exceptionnel qui en fut le fondateur et avec qui tu as fait un peu de chemin. Mais il y en a eu beaucoup d’autres avec qui tu as élaboré, publié, travaillé.

Gaston Pineau : Cette question risque d’être encombrante, car je risque de ne pas reconnaître à chacun son dû, au moment où l’on veut me rendre hommage. Dans un texte peu connu, Les personnes dans la personne. Élément d’un bilan vocationnel (1993), Desroche distingue quatre catégories de personnes marquantes dans un trajet de vie : les personnes-racines, les personnes-projets, les personnes-destins et les personnes-blasons. Je me suis senti lié, aux uns et aux autre, par des liens qui sont toujours de natures différentes et qui correspondent à des cycles de vie et des influences distinctes. Dans la catégorie des personnes-racines on trouve bien sûr Henri Desroche dont j’ai parlé, mais aussi Pierre Caspar, Guy Jobert que tous les chercheurs en Histoire de vie connaissent. Bertrand Schwartz dont l’importance est indéniable dans toutes les questions concernant les formations d’adultes est pour moi une personne-blason, emblématique. Je considère Georges Lerbet comme une personne-destin : sa rencontre m’a fait venir à Tours.

C. &S. : Et puis il y a toutes les personnes-projets qui sont près de toi, à Tours, comme Dominique Bachelart, Christine Abels, Noël Denoyel. Ils ont tous ont cosignés, avec toi, des travaux sur l’approche des récits de vie. On les retrouve, aussi, dans des ouvrages tels qu’Habiter la terre. Écoformation terrienne pour une conscience planétaire (2005), troisième ouvrage de votre piste originale d’éducation à l’environnement. Vous l’appelez écoformation et vous la suivez depuis 1990, en travaillant, à la suite de Gaston Bachelard, les influences formatrices ou déformatrices des quatre éléments. Vous avez successivement publié De l’air ! Initiation à l’écoformation, en 1992 ; Les eaux écoformatrices, en 2001. Il vous reste le feu.

Gaston Pineau : Oui, il couve. Sans compter des chercheurs dont l’approche profondément originale s’inscrit dans les premières intuitions de mon travail et les prolonge. J’ai beaucoup appris avec eux. Ce qui fait que l’approche des récits de vie est un immense chantier : des gens qui se connaissent et communiquent pour la plupart d’entre eux, jetant des ponts entre les sociétés et les cultures. Chacun traite un domaine privilégié et puis y a du travail pour tous. Car le champ est immense. C’est ainsi que Martine Lani-Bayle, qui a créé des relations avec le Japon mais aussi la Pologne, travaille dans une perspective plus clinique - elle est psychologue clinicienne aussi - et a intégré dans sa recherche le secret de famille, l’« insu », toutes les difficultés de la mémoire ; Christophe Niewiadomski a fait se confronter les histoires de vie, la psychothérapie et la psychanalyse, il a travaillé, dans la suite de Vincent de Gaulejac, les trajectoires sociales des sujets alcooliques ; Christine Delory-Momberger et son équipe, ont travaillé les recherches biographiques en éducation ; Jean-Claude Gimonet, mon complice solognot, a ouvert au delà des frontières sa réflexion sur l’alternance. Beaucoup avaient rencontré Armand Touati dont le nom est lié à l’existence de votre revue. On peut citer encore les Brésiliens de la dernière heure qui ne sont pas les moins actifs. On assiste à une vraie émergence dans ce pays.

C. &S : J’ai eu dans les mains le texte très émouvant de ta communication d’adieu à tes collègues chercheurs au colloque international de 2007 sur « La biographie, la réflexivité et les temporalités ». Tu parles du « gai savoir » ou de la « gaie science » que tu avais déjà évoqué, si je me souviens bien, dans ton « Que Sais-je ? » sur Les Histoires de vie. Le gai savoir dont tu parles est-il celui de la chanson de geste colportée par les troubadours, ces hommes de réseaux, qui apportaient du sens partout où ils passaient ? Ou celui du XVIème siècle remis à l’ordre du jour par François Rabelais, le tourangeau de La Devinière ?

Gaston Pineau : En fait, le gai savoir est de tous les temps. C’est un savoir vécu courant, refoulé, plus ou moins complètement, par les savoirs savants, académiques et même professionnels. À certaines périodes, des personnalités particulièrement vivaces réussissent à percer la chape de plomb des savoirs de papiers, gris et attristants. Tu es d’ailleurs de ces personnes égayantes, redonnant la joie de vivre. En 1994, tu m’as fait l’honneur de me demander de préfacer la réédition de ton ouvrage inaugural de 1981 : Mort d’un pédagogue. J’ai intitulé cette préface : « Naissance d’une geste ». Car on retrouve dans ton expression, la verve des troubadours, le vif et la verdeur des chansons de geste, qui transforment en gais savoirs les gestes de tous les jours. Tu t’adresses à tous ceux qui veulent être, qui sont en travail de devenir et qui veulent le dire. Tu fais partie du mouvement bio-cognitif des histoires de vie d’acteurs, qui pour devenir auteurs de leur vie, osent prendre la parole, la leur et l’écrire.

Après les troubadours et Rabelais, le gai-savoir revient encore trois siècles plus tard chez Nietzsche, puis encore un siècle plus loin sous la plume de l’institutionnaliste Lourau, c’est Le gai-savoir des sociologues, un livre de 1977. Le gai-savoir, c’est la libération du savoir expérientiel, celui de la praxis sociale contre une institutionnalisation étouffante des savoirs formels. Le gai savoir n’exclut pas la douleur ni la misère du monde. Ce tragique, l’homme se l’approprie, pour en faire quelque chose, négligeant les frontières des disciplines strictes et les espaces prétentieusement saturés qu’on lui propose, car lui-même devient producteur et co-producteur de sens. C’est dans cette aventure que se place notre recherche




Baclofène et maladie d'alcool: quand les usagers s’en mêlent !
Questions autour de la maladie d'alcool


Cultures & Société:: Marion Gaud, vous êtes une des représentantes chargée de communication de l’Association AUBES, Association des Utilisateurs du Baclofène et Sympathisants. Vous revenez du congrès international Toxicomanie Hépatite Sida (THS) de Biarritz ( 11 au 14 octobre 2011).

Un tel colloque qui vous accueillait vous a donné sûrement une idée de la façon dont la question du baclofène, cette nouvelle thérapeutique de l’alcool, est aujourd’hui comprise par le grand public[1]?

Marion Gaud pour Aubes : L'atelier sur le baclofène où intervenaient Olivier Ameisen, Philippe Jaury qui va conduire les futurs essais cliniques et Bernard Joussaume, le président de l'association, a fait salle comble, à tel point que les autres intervenants du jour craignaient que le « buzz » (selon leur propre terme) créé par le phénomène ne désemplissent leurs ateliers.

Les professionnels présents étaient essentiellement des généralistes et des addictologues.

Notre stand a été très fréquenté. Nous y avons noué de nombreux contacts et empli notre carnet d'adresse. Il y a beaucoup d'intérêt, beaucoup de curiosité, beaucoup d'interrogations et de questions : nous n'avons pas chômé ! Nous avons eu tous les cas de figure:

des médecins qui venaient en nous disant : je le prescris depuis le début, je ne savais pas que vous existiez! ». D'autres qui en avaient entendu parler et qui ne demandaient qu'à avoir quelques informations pour commencer à le prescrire, d'autres plus réticents mais intéressés posant toutes les questions légitimes aux sujet du traitement. Et repartant en ayant changé d'avis, décidés à le tenter. Enfin une dernière catégorie : celle des « contres » par principe, ne voulant rien savoir.

Ce congrès nous a permis de nous rapprocher de nos adhérents médecins : avec Philippe Jaury, entre autre, et ensemble, de créer le projet d'une association de prescripteurs au sein de Aubes.

C&S : Revenons à la réalité de vos engagements. La tentative de votre association de faciliter la démarche des patients qui veulent se soigner, souvent désorientés. L’originalité de AUBES est d’être présidée par un médecin qui a travaillé de façon très proche du professeur Olivier Ameisen, mais aussi de toute une équipe. J’imagine que vous êtes contactés régulièrement par des gens en dépendance chronique d’alcool. Pouvez vous nous donner une idée du volume des situations que vous traitez, par exemple dans un mois, et quelle est la procédure que vous employez?

Aubes :Nous gérons, par mois, une soixantaine de demandes de prescription. Notre outil majeur pour cela, est notre forum internet. Nous y orientons les personnes en demande. Là, elles sont guidées par les animateurs pour y trouver toutes les informations et la documentation nécessaire à présenter à leur propre médecin pour demander le traitement. C'est notre politique. Anciens malades nous-même, nous incitons les autres malades à s'informer d'abord eux-même, avant de demander le traitement.

Première étape, nous insistons pour qu'ils lisent le livre d'Olivier Ameisen, Le dernier verre[2]. Afin qu'eux-même comprennent leur maladie, le traitement et ce qu'il y a de nouveau dans l'approche de cette pathologie. Ils n'en seront que plus convaincus, et donc convaincants auprès de leur médecin.

Avant de transmettre le nom d'un prescripteur, nous leur donnons les moyens d'obtenir eux-même leur traitement auprès de leur médecin traitant. Autant pour impliquer en premier leurs médecins de famille, les mieux placés pour suivre leurs patients, mais aussi parce que nous n'avons pas tant de noms de prescripteurs à transmettre!

Les médecins qui prescrivent sont nombreux mais ne le crient pas sur les toits. Finalement, cet état de fait est intéressant : ce sont bien souvent les malades qui informent les médecins de l'existence du traitement et qui parviennent à les convaincre de le leur prescrire : cela marche dans 80% des cas. C'est comme cela que nous parvenons à propager l'information et à faire « tâche d'huile »...

Les médecins qui l'utilisent et en constatent les effets bénéfiques incontestables en parlent à leurs confrères, se mettent à prescrire à d'autres malades, (qui en parlent à d'autres malades ...etc...), puis viennent s'informer vers nous...

Nous avons donc l'effet « tâche d'huile » puis l'effet « boule de neige » à gérer. Depuis le début, nous donnons la possibilité aux médecins qui le souhaitent d'entrer en contact avec leurs confrères prescripteurs de la première heure pour être aiguillés et conseillés. Depuis le début, un médecin répond aux questions des malades sur notre forum et en septembre, nous avons ouvert un forum privé uniquement pour les professions médicales sur le sujet. Petit à petit nous tâchons de centraliser tout le monde sur le sujet. Et nous y parvenons.

C & S : Les quelques sondages que j’ai pu effectuer autour de moi et notamment dans le monde des travailleurs sociaux ou des Foyers de postcure, mais aussi chez un certain nombre de médecins, ne me donnent pas à penser que l’introduction du baclofène soit devenu si facile pour les usagers. Pourtant je connais personnellement trois personnes au moins qui ont été tirées d’affaire par ce produit, et mes informations ne sont pas concordantes avec le discours de certains médias.

Aubes : L'introduction du baclofène dans le traitement de l'alcoolo dépendance, reste difficile en effet: ce n'est pas évident de faire bouger les mentalités. Cette maladie reste, dans l'esprit commun, une maladie uniquement psychologique. Qu'elle ait certainement aussi une origine biologique, qu'on peut traiter avec une molécule, comme d'autres pathologies, est difficile à accepter pour beaucoup.

Cela remet trop en cause certaines croyances, notamment celle-ci :qu'avec la force de la volonté on peut s'en sortir.

Il y a un énorme paradoxe : à la fois on dit depuis longtemps que l'alcoolisme est une vraie maladie et en même temps on refuse qu'elle en soit vraiment une, d'ordre physiologique...

C'est pourtant la piste apportée par le baclofène : un déficit au niveau des neuro-récepteurs Gaba B serait à l'origine du mal-être qui conduirait à l'addiction. Le cerveau est un organe qui peut avoir des dysfonctionnements d'ordre biologiques, comme les autres organes...sans pour autant nier les facteurs environnementaux et psychologiques qui favorisent la maladie.

Mais en France, on est encore dans la séparation du corps et de l'esprit, croyant à tort, souvent, que notre cerveau peut tout si on le veut !C'est pourtant comme si on disait à un diabétique qu'avec la force de sa volonté et un travail quotidien sur lui-même il peut sortir de la maladie.. On commence à peine a découvrir le fonctionnement du cerveau...la recherche fait d'immense progrès dans ce domaine depuis peu...Cela va forcément beaucoup chambouler certaines de nos vieilles conceptions, pas seulement dans le domaine de l'addiction!

C & S :Vous modifiez tout de même tout une conception de la maladie d’alcool qui a mis du temps pour prendre corps et qui résulte d’un certain nombre de recherches empiriques sur le terrain, à partir du travail d’équipes pluridisciplinaire, thérapeutes, somaticiens, travailleurs sociaux. Par ailleurs ces équipes tiennent à ce que leur travail soit à la fois compris et reconnu. Que leur expliquez vous quand vous avez la possibilité d’engager avec elle un dialogue constructif ?

Aubes : Bien-sûr, il y a des personnes qui sortent de l'alcool durablement, avec les thérapies traditionnelles, mais très peu et au prix de quels efforts continus, même au bout de plusieurs années d'abstinence ? Il y a 90% de rechutes avec les thérapies traditionnelles et ce taux n'a jamais évolué depuis plus de cinquante ans que l'on traite l'alcoolisme.

Il y a donc ce nouveau concept de l'origine biologique de la maladie alcoolique qui bute sur des années de conception de celle-ci comme étant une maladie de la volonté et, il y a, en parallèle, un manque d'information sur le médicament. Il peut rapidement être assimilé à d'autres, très nocifs, ceux -là, prescrits hors AMM, comme on en a eu l'exemple récemment. L'amalgame peut être vite fait.

Notre travail, c'est d'informer quotidiennement malades et médecins sur le traitement, de les rassurer sur les craintes qu'ils peuvent légitiment avoir : la prescription hors AMM, les effets secondaires, l'éventuelle toxicité de la molécule l'éventuelle dépendance qu'elle entraînerait...Depuis le temps, notre argumentaire est rodé pour contrecarrer ces craintes!

La prescription hors AMM n'est pas interdite, elle est même pratiquée par tous les médecins régulièrement, sans même parfois qu'ils ne le sachent. Elle est même autorisée à titre compassionnel...

Les effets secondaires sont bénins, transitoires lors de la montés des doses et n'entraînent aucune séquelles irréversibles même à très fortes doses. Des cas de tentatives de suicide à 2500 mg (soit 250 comprimés de 10mg) ont été répertoriés, sans effet létal et sans séquelles, donc...Conclusion : le baclofène est inoffensif comparé au paracétamol par exemple, pour lequel 20 comprimés suffisent pour avoir un effet létal...

Des études sur sa toxicité ont été faites : il est très peu toxique. [3] Et enfin, il n'y a pas d'effet de dépendance à la molécule. On ne remplace pas une drogue par une autre. Pour preuve, après avoir obtenu l'indifférence à l'alcool à une certaine dose, différente pour chacun, on redescend le dosage progressivement sans aucun manque.

De toutes façons, malgré les réticences, le baclofène suscite un intérêt formidable.

C & S : On a eu l’occasion de lire dans la grande presse des articles qui, involontairement pouvaient nuire à votre image et à vos engagements. Celui du Nouvel Observateur, notamment qui vous montre comme une sorte de « secte » d’adeptes, assez fermée et qui a perdu le sens des réalités.

Aubes : Puisque vous citez le seul article, celui du Nouvel Observateur, qui ai tenté de nous donner cette image sectaire, nous avons immédiatement demandé un droit de réponse, la journaliste ayant décidé à priori de faire un article « contre », du type polémique et sensationnel, sans tenir compte des informations que nous lui avions données...Nous n'avons pas eu de réponse bien-sûr, mais ce type d'article est inévitable, il faut des contradicteurs. La polémique en soi nous permet de répondre, d'argumenter de plus belle, l'important est qu'on en parle. Nous regrettons toute fois que cette image sectaire puissent être donnée par d'autres militants, issus d'autres mouvements, et qui refusent en bloc tout traitement psychologique. En ce qui concerne AUBES, depuis le début, nous insistons justement sur la nécessité d' un travail psychologique en parallèle.

En réalité, pour lutter contre ce type de désinformation et de contre-publicité, il n'y a qu'une chose à faire : continuer à informer sur le terrain, en montant des colloques, en participant à des congrès, à des cessions de formations à la prescription et en informant la presse de nos actions et prises de positions par le biais de communiqués. Ce que nous faisons inlassablement depuis deux ans.

C & S :J’ai remarqué que souvent ce qui produisait des réticences très fortes était justement cette idée de « produit miracle »qui a été sans doute maladroitement lancé par les malades eux-mêmes. Le « miracle » inquiète ceux qui sont habitués à des progressions lentes, à des échecs douloureux, à la nécessité de travailler dans un contexte de pluridisciplinarité délicat. On pourrait avoir l’impression qu’on soutient un conte de fée. Ne serait ce point l’heure d’être plus prudent et d’insister pour que la démarche clinique, notamment celle des psychothérapeutes, ne soit pas négligée, mais trouve une meilleure place, lorsque les gros symptômes disparaissent, dans le traitement du patient? Ce serait donc une erreur de penser le baclofène en dehors de tout un travail clinique qui serait à recomposer et reformuler. Avez vous cette préoccupation ?

Aubes : Mais nous avons TOUJOURS eu cette préoccupation ! Un des premiers sujet général que nous avons mis sur notre forum concerne l'importance du suivi psychologique...et nous ne parlons JAMAIS de miracle. Bernard Joussaume martèle à longueur de conférence qu'il ne s'agit pas d'un médicament miracle.. Nous avons toujours lutté contre ce terme : la découverte elle-même qui pourrait être qualifiée de miraculeuse, n’est due qu’à l'opiniâtreté d' Olivier Ameisen lui-même. On ne dit pas plus de la pénicilline, qui a été découverte par miracle, que son action est un miracle...

Ce terme n'est pas véhiculé par les malades mais hélas par la presse et par les réseaux de soins traditionnels qui sortent les griffes avant qu'on ne les morde : ce sont eux qui ont peur que le baclofène ne remplace leurs thérapeutiques et qui nous prêtent des propos où des points de vue que nous n'avons jamais eu. Si seulement ils acceptaient de dialoguer avec nous :quand nous vous disions que le plus difficile, c'est de faire évoluer les croyances et préjugés !

Mais nous savons parfaitement le traitement de la maladie alcoolique est pluri-disciplinaire et ne permet pas de se passer de ceux qui œuvrent auprès d’eux depuis des années : nous ne considérons le baclofène que comme une arme supplémentaire mais majeure dans le soutien de cette pathologie. Certains réseaux de soins d'addictologie le comprennent bien aussi. Par exemple le Réseau Santé Addictions (RESAD),Vaucluse Camargue, à la suite d'une soirée d'information que nous avons faite chez eux à inclus le baclofène dans son protocole de soins. Il est tellement évident que le succès du traitement ne peut qu'être majoré si il y a en plus un accompagnement de qualité...

Lors de ma venue au premier colloque de Villejuif, j’ai eu le sentiment d’un petit groupe très lié par des expériences communes qui se lançait dans quelque chose de nouveau. Vous n’étiez pas si nombreux mais déterminés. De quelle façon, aujourd’hui, voyez vous évoluer l’association ?A–telle grandi à la mesure de l’enjeu de santé publique et de société ?

Aubes : En effet, le « petit groupe », s'est considérablement agrandi puisque nous ont rejoints beaucoup de « gros » prescripteurs de la première heure : Philippe Jaury qui va conduire les essais, Pascal Gache, un des tout premier, qui officie en Suisse, et que nous venons de nous réunir pour monter le réseau de médecins.

Le but de ce réseau sera, entre autres, d'organiser des formations autour de la prescription afin de l'encadrer au mieux. Nous avons ouverts dernièrement un forum destinés aux professionnels santé. Nous sommes les partenaires officiels des essais cliniques menés par Philippe Jaury. Notre engagement et notre travail a été récompensé par l'intérêt que nous a porté un très généreux donateur, qui nous a donné les moyens financiers de pouvoir nous développer : nous avons maintenant trois salariés et nous envisageons de mener des actions de terrain auprès des malades pour justement les accompagner de façon pluridisciplinaire dans l'après-alcool.

Notre histoire et notre développement ressemble à s'y méprendre à celle des produits de substitutions à l'héroïne dans les années 90.

Des réseaux de patients et de médecins se sont battus pour imposer la méthadone et le temgésic .Ils ont connus les même difficultés que nous et d'ailleurs, en ce qui concerne le réseau médecin, ce sont bien-souvent les même acteurs qui s'impliquent avec nous.

A cette différence près : l'alcool est une drogue extrêmement répandue, vendue légalement : nous avons donc comme adversaires des lobbies très puissants. La lutte sera donc encore plus longue et difficile.

NOTES

[1]Voir notre article de Culture & Sociétés : Jean-François Gomez, D’Ameisen à Semmelweis, Découvertes cliniques à l’épreuve du réel N° 16 Octobre 2010.
[2] Olivier Ameisen, Le Dernier Verre, Paris, Denoël , 2008.


[3] Rapport du comité de coordination de toxicovigilance (Aout 2009) fait à la demande de l'afssaps :Cas d'exposition au baclofène : données des centres anti-poison et de toxicovigilence 2003/2007.



Interview du docteur Jean Oury le vendredi 27 avril 2012 à la clinique de La Borde.


Thierry GOGUEL D’ALLONDANS et Jean-François GOMEZ, ont rencontré Jean Oury, pour les revues VST et Cultures & Sociétés. La première partie de l’entretien est parue dans VST, la seconde dans Cultures & Sociétés. Sur simple demande aux rédactions respectives nous tenons à la disposition des lecteurs qui la souhaiteraient l’intégralité de cette interview en format PDF. Adrien BERTHET, petit-fils de Jean OURY, s’est joint à nous et a pris les photos qui illustrent cet article. La retranscription des bandes magnétiques a été effectuée par Elisabeth Gomez, relectures ont été faites par les personnes présentes et Brivette Buchanan.


Jean-François GOMEZ : Nous sommes vraiment très heureux, Thierry et moi, d’être ici, Jean Oury, une nouvelle fois, dans votre cadre, avec vos malades, dans votre institution qui nous font toujours le même effet. Nous avions envie de vous dire, pour démarrer, le plaisir que nous avons eu, chez Brivette où nous avons eu le bonheur d’être accueillis, à parcourir un livre que j’ai attrapé par hasard – mais ce n’est sûrement pas par hasard ! – le livre sur le Japon2.

Jean OURY : Ah, oui ?

2 Jean OURY, Psychothérapie institutionnelle. Rencontre avec le Japon, à Okinawa, Kyoto, Tokyo, coordination Philippe Bernier, Stéphan Hassen Chedri, Catherine de Luca-Bernier, Matrice éditions, 2007.

J-F. G : J’ai beaucoup aimé la façon dont vous y abordez les questions qu’on retrouve d’ailleurs dans Le Collectif, et bien d’autres de vos livres que j’ai lu de vous. Là, c’est dit d’une façon qui m’a beaucoup intéressé, ça peut d’ailleurs être un excellent support pour les psychologues cliniciens avec lesquels je travaille sur la Psychothérapie Institutionnelle. Je me disais même : tu vas travailler avec eux plutôt sur Le Japon que sur Le Collectif, ça pourrait être intéressant l’année prochaine.

J. O : Je suis allé à Okinawa, Kyoto et Tokyo, il y avait des psychiatres et des infirmiers, surtout à Okinawa, où j’expliquais. C’est un peu lourd, mais j’explique plus en détail. C’est pour le grand public, presque. Ce n’est pas un traité, mais ça marche.

J-F. G : Il y a des choses qui sont bien développées.

J. O : Oui quand même.

J-F. G : Voilà donc, nous sommes là, avec Thierry que vous connaissez bien, qui a aussi des responsabilités auxquelles je suis mêlé, puisqu’il est rédacteur en chef de la revue Cultures & Sociétés et que, par ailleurs, il est depuis quelques temps au comité scientifique de Vie Sociale et Traitements. Donc, les deux revues sont présentes !

J. O : Ah ! Je ne savais pas ! II est au Comité scientifique de VST !

J-G. G : Et oui !

Thierry GOGUEL D’ALLONDANS : C’est assez récent. C’est François Chobeaux qui m’y a convié.

J. O : Cela me touche d’autant que je connais VST depuis ses premiers numéros. Et puis pendant longtemps, j’étais dans le comité de rédaction, il me semble.

T.G.d’A : Oui.

J. O : Avec Germaine Le Guillant, Daumézon…

J-F. G : C’est une belle aventure.

J. O : C’était fantastique. Pour les stages des CEMEA qu’avait pu décrocher Germaine, c’est toute une histoire. Ils duraient dix jours pour faire sortir les infirmiers des hôpitaux. Je crois que c’est Daumézon qui disait : « Avant de faire sortir les malades, il faut faire sortir les infirmiers, ça ne serait pas si mal ». Ça a fait avancer l’affaire.

T.G.d’A : C’était en quelle année, les premiers stages infirmiers ?

J. O : C’était en cinquante ou cinquante et un que ça s’est lancé vraiment.

T.G.d’A : Et ça a duré jusqu’au diplôme officiel ?

J. O : Ça a duré longtemps. Je me souviens des crises dans les CEMEA à un moment donné, on avait amené ça ici, à La Borde. En décembre cinquante sept, c’est ça.

T.G.d’A : C’est l’année de ma naissance.

J. O : Et ils étaient là, il y avait Germaine, je la voyais souvent, puis Daumézon, etc. Une grande discussion a eu lieu là où il y a le standard maintenant – c’était plein – pour savoir si on continuait des stages nationaux ou pas. Et c’est là, il me semble, qu’il a été décidé de faire des stages régionaux. C’était très important, car dans les stages nationaux, il y avait moins de prise sur les infirmiers. On avait les stages régionaux et puis après, il y a eu quantité de questions : faut-il prendre la décision de faire des stages intra-hospitaliers ? Et plus tard, on a dit : « Mais les infirmiers, ça ne suffit pas. Il faudrait faire des stages pour les internes, les médecins-chefs, pour tous ces gens qui sont un petit peu en dehors du coup. Ça a duré…

Et puis Germaine a été malade très longtemps. C’était quelqu’un de très important Germaine…

J-F. G : « Hirondelle »!

J. O : « Hirondelle » ! Elle venait souvent ici. On s’aimait bien. J’allais aussi à Villejuif chez Le Guillant, bien sûr.

J-F. G : Ça reste une revue très attachante.

J. O : Ah ! Oui !

J-F. G : Moi j’aime beaucoup les comités de rédaction et tous les débats que nous avons. On est tous très différents. Pour ma part, je représente un peu plus le secteur médico-social, associatif, le handicap – on est quelques uns, pas la majorité. Ce mélange entre la psychiatrie, le handicap et toutes les questions y compris la prévention spécialisée, c’est très intéressant. Et nous avions l’idée de parler avec vous de la question qui nous taraude, qui nous inquiète, de l’évolution de la Psychothérapie Institutionnelle et des déclarations de cet organisme, l’ANESM.

J. O : C’est quoi ça ?

J-F. G : L’Agence Nationale d’Évaluation...

T.G.d’A : Sanitaire et Médico-sociale.

J-F. G : C’est celle qui évoque les évaluations externes et internes, qui définit les bons formateurs, les bons organismes de formation et les mauvais, qui définit la bientraitance et la maltraitance, qui donne des – comment dirais-je – des observations.

T.G.d’A : Des évaluations.

J-F. G : Elle définit et elle formate les bons comportements et les bonnes attitudes.

T.G.d’A : C’est le clonage !

J. O : Ils se permettent de porter des jugements, et quels jugements !

T.G.d’A : C’est pour que tout le monde soit pareil. Comme ça tout le monde sera évaluable pareillement.

J. O : Ah ! Oui ! Il y a un an et demi – je ne veux même plus recevoir ces gens directement, je préfère déléguer à quelqu’un ici, ça m’agace trop – une femme est venue, représentante de tout, ça, c’était au mois de juillet dernier. Il faisait beau, c’était autre chose, magnifique… C’est beau ici quand il fait beau !

T.G.d’A : Et même quand il pleut c’est beau !

J. O : Oui ! Mais enfin, là c’était formidable, au mois de juillet. Elle visite etc. puis elle dit : « Oui, c’est pas mal, c’est bien. C’est un milieu de vie ici, mais ce n’est pas un milieu de soins. »

J-F. G : Mon Dieu !

J. O : Si j’avais été là – je ne sais pas – je l’aurais prise par le dos, c’est effrayant, ça résume ce qu’il peut y avoir dans la tête de la bureaucratie.

J-F. G : Le terme que je cherchais, c’est « recommandation » ! Les recommandations aux établissements, avec des apparences démocratiques, puisqu’ils sont sensés collecter, à la base, les types ou les typologies de comportement qu’il faut avoir avec les personnes en difficultés. Puis ça remonte des établissements et ça retombe en recommandations formatées.

T.G.d’A : Sur tout ça, j’avais envie de vous poser une question. Comment vous résistez à La Borde ? Je me souviens de deux colères de votre part : la première le jour où vous avez été obligé de mettre des extracteurs de fumée qui coûtaient la peau des fesses et la deuxième c’était pour la cuisine que vous étiez obligé de fermer le soir. Ce matin, Evelyne, en nous faisant la visite, disait que de temps en temps, avant la visite de la DASS, il y avait le grand nettoyage, le grand chambardement, pour cacher un peu les choses et que, une fois la visite passée, on revenait à la normale. Finalement, comment vous résistez ?

J. O : C’est du sport ! On peut citer –, – je la raconte souvent – une visite en rapport avec toutes ces espèces d’accréditations (il faudrait parler de l’accréditation aussi). Pour le contrôle sanitaire de la cuisine. Les cuisines, c’est un vétérinaire départemental qui les visite ! C’est bizarre, mais enfin c’est comme ça. Donc, le vétérinaire est venu avec une femme, ils sont allés à la cuisine, les cuisiniers avaient mis leurs bonnets blancs. Donc. Ils ont regardé si les yogourts étaient frais ou pas, etc. À la fin, l’inspecteur en question, vient dans mon bureau et me dit : « Oui, oui, ça va, mais il faudra fermer la cuisine et mettre un guichet !» Je n’ai pas répondu tout de suite ; je lui ai dit quand même, à un moment donné, (il était un peu obsessionnel): « Écoutez, si vous exigez de fermer la cuisine, vous serez responsable, dans un mois ou deux, de cent cinquante chômeurs, parce que moi, je fermerai La Borde, je ne tolèrerai pas ça ». Il s’est écrasé, il nous a fait simplement « payer » en déclarant qu’il ne fallait pas laver les grandes casseroles dans la cuisine mais à côté. Ça nous a coûté du fric, mais on a obtenu que ça reste ouvert. Il y avait surtout les cuisiniers. J’étais en très bons termes avec les cuisiniers. Je faisais une des meilleures réunions de La Borde, tous les quinze jours le mardi après midi, avec les cuisiniers. On parlait des passages, des malades qui aidaient. C’était de la haute psychothérapie. Ils étaient ravis.

T.G.d’A : On s’était rencontré d’ailleurs autour de la cuisine avec René.

J. O : Ah ! Oui, René ! C’était une figure extraordinaire.

T.G.d’A : Et Jean-Michel, on l’a revu hier soir.

J. O : René et Jean-Michel… René tout le monde l’adorait. Il participait à des voyages en Afrique.

T.G.d’A : Et oui ! En Côte d’Ivoire.

J. O : Je peux raconter, bien que ce soit connu, comment a été créé La Borde Ivoire. Vous connaissez par coeur tout ça, peut être ? J’en ai reparlé dans Le Collectif.

J-F. G : Oui, j’ai dû le lire. Je m’en souviens un peu.

J. O : C’était en 1983. Je faisais déjà des réunions avec les cuisiniers tous les mardis après midi, d’une heure, c’était au mois de juin. Un des cuisiniers, noir, était d’origine d’un village là-bas. Lui ça faisait des années qu’il était en France, et puis lors d’une réunion de fin juinnquatre-vingt-trois, il nous dit : « J’en ai un peu marre d’être en Europe, je voudrais retourner un petit peu au village là-bas à Trinlé-Diapleu (Ce village est à 600 kilomètres, au Nord, prés du Libéria, en Côte d’Ivoire). Ici il y a un club, il y a des trucs comme ça, tandis que là-bas, c’est la misère. On pourra faire là-bas l’équivalent d’un Club, une sorte de coopérative, la même structure. Et en même temps il n’y a pas d’eau. Les femmes sont obligées d’aller la chercher au marigot. Il faut creuser des puits, mais pour ça, il faut du fric. » Alors, je lui dis : « Mais je suis pas néocolonialiste ! On en reparle dans huit jours ».

Au bout de huit jours, je lui dis : « Il faut une somme importante quand même pour partir. Écoute ce qu’il faut faire : Vous devriez demander à toutes les familles, qui seraient d’accord de faire un don, et créer une association ». On a fait l’association qu’on a appelé « La Borde-Ivoire », avec une présidente, c’était Nadia, parce qu’elle aime beaucoup l’Afrique. Et au mois d’octobre, il y avait l’argent. Il est parti, accompagné très vite par Philippe Bichon. Je l’appelle « Bichon l’Africain », Alors Bichon l’Africain est parti au mois de novembre avec quelques malades pour voir ce qui se passait. Contact avec les anciens de là-bas, de façon très traditionnelle. On a établi un contrat : les gens y allaient quinze jours trois semaines et puis, inversement, les gens du village viennent ici. C’est un échange fantastique. Je crois que Nadia a écrit quelque chose là-dessus.

C’est parti de la cuisine. On n’aurait même pas eu l’idée de faire une chose pareille. Ça donne une dimension. Ce n’est pas le Club, le Club n’est qu’un aspect des choses, mais c’est dans le travail même, dans le travail que l’on crée.

On peut dire encore un petit mot sur la cuisine ; pour éviter la maladie de tous ces établissements, c’est toujours malade, un établissement. Il ne faut pas croire qu’on a gagné, la maladie : c’est le cloisonnement. Avec Tosquelles, on parlait souvent, et on se disait : « Comment éviter le cloisonnement qui induit la bureaucratie ? » Le cloisonnement, c’est la pire des choses. Ici aussi il y a du cloisonnement. Alors pour l’éviter – je suis entré à La Borde en avril 53, on était avec une bande de malades, avec Félix Guattari – on a dit, d’emblée : « il faut trouver un truc. Il y a quand même des fonctions officielles, cuisinier, infirmier, etc. mais, par exemple, pour les cuisiniers, un jour par semaine, il faut faire autre chose.

C’est ainsi qu’à la Borde un jour par semaine, un des cuisiniers a fait partie de l’équipe des packs, les fameux packings. Un autre, suivant ses affinités, disait : « moi j’aime bien faire le jardin. » « Et bien tu fais le jardin ! ». Un autre aimait démonter les voitures, les moteurs, etc.

T.G.d’A : Je me souviens du mécanicien !

J. O : Pourquoi pas, allons-y ! Un autre va accompagner, le jeudi soir, tout un groupe de malades au cinéma. Un autre, sa passion, c’était les aquaplanes. Des trucs pour monter dans les airs, comme ça. Il s’est esquinté le dos en allant à Châteauroux avec tout un groupe. Bref, ça les sort de la cuisine. C’est pour les cuisiniers, mais, pour tout le monde, ce devrait être pareil : ne pas s’éterniser. C’est pour ça qu’on a appliqué la politique des roulements. Le parfait travailleur de La Borde, il faudrait qu’il ait fait tout. J’avais dit avec Félix : « Ce sera ça le diplôme ». Cette idée-là demeure, avec plus ou moins de réticence. C’est l’idée d’anti cloisonnement absolu. Souvent, les gens arrivent, ils font leur boulot et rien d’autre. Au début, il y avait un cuisinier qui avait peur des fous. On a trouvé un truc. La cuisine est à un bout, le grand salon à l’autre bout. On avait remarqué qu’il aimait fumer et il jouait au billard. Alors on a installé un petit billard au grand salon, il a été obligé de traverser les fous et ça a très bien marché.

J-F.G : Et il s’y est fait petit à petit ?

J. O : Petit à petit, comme ça. Il y a plein d’astuces. À Saint-Alban, Tosquelles a travaillé continuellement dans cette direction, il a lutté. Le Club, c’est pour éviter ça, pour responsabiliser toutes les personnes. Et même les plus grabataires…

J-F.G : Dans le livre sur le Japon, il y a tout un passage qui est extrêmement clair sur cette question. Vous faites la différence entre le statut, la fonction et le rôle. Vous l’aviez déjà travaillé dans Le Collectif, mais là c’est complètement lumineux. Lorsque vous dites, par exemple : « on ne soigne pas avec un statut ».

J. O : Mais non !

J-F.G : Je me disais, moi qui ai constaté à quel point les générations de psychologues – d’éducateurs, n’en parlons pas – entendent de moins en moins ce discours. Mais qu’est-ce qui se passe actuellement ? Est-ce le résultat de toutes ces instances comme l’Agence Nationale d’Évaluation dont nous parlions qui définit des comportements ? Est-ce que c’est le fait pour les structures médicosociales, de dépendre de l’ARS3 ? Est-ce que ce sont tous ces modèles de bientraitance, de maltraitance, qui sont en train de se mettre en place ? Mais où va-t-on ? Et j’ai même entendu dire : « Vous savez, La Borde, c’est complètement dépassé ! Vous vous rendez compte, il fait ça depuis je ne sais pas combien de temps ! Donc c’est fini, il faut tourner la page, etc. » Cela dit, quel plaisir on a d’être ici, d’être accueilli comme on a été accueilli. Mais en même temps, comment ne pas être inquiet de ce qui se passe au dehors.

J. O : Ah ! Complètement !

J-F.G : Je suis très inquiet. Et les dernières déclarations de l’ANESM soutenues par la Haute Autorité de la Santé – c’est vrai que depuis quelques temps il y a beaucoup de hautes autorités un peu partout – ne sont pas terribles. Voilà que la psychanalyse, ainsi que la psychothérapie institutionnelle – comme s’il s’agissait des mêmes instances – ne sont pas « recommandables ». Alors, il faudrait savoir ce que veut dire « recommandable » pour eux ! Et ce dont il s’agit quand on agite le concept de recommandation, qui d’ailleurs, si je me souviens bien, émerge de la pensée américaine et des médecins américains, des conférences de consensus. Si il a une manière « moyenne » de faire une appendicite, pensent-il peut-être, ça doit être pareil pour les fous et pour les handicapés mentaux. C’est une question sur laquelle nous avons travaillé au comité de rédaction de VST.

J. O : Il est certain que dès les premiers jours où je suis arrivé à La Borde avec toute cette bande que j’avais traîné avec moi, le 6 avril 53, je me suis entraîné [à refuser toutes les confusions, les fausses évidences]. Un cycliste, par exemple, il faut qu’il s’entraîne, fasse du vélo au moins un peu dans la journée, un pianiste, c’est pareil…

Un psychiatre doit réciter : « ne pas confondre statut, rôle, fonction ». Le statut, quand on ne sait pas trop, allez voir la feuille de paye, c’est le statut officiel. On embauche quelqu’un sur son statut, il est cuisiner et voilà. Mais la fonction, c’est quoi la fonction ? Tout le monde

3 ARS Agence Régionale de Santé

aussi bien le cuisinier que le jardinier etc. a une fonction d’accueil psychothérapique. En gros d’une façon générale, cela consiste à être attentif aux autres, c’est la « fonction soignante ».

T.G.d’A : D’ailleurs vous aviez utilisé le mot « partage » une fois.

J. O : « Partage est notre maître à tous ». Ça fait bien de dire ça. C’est Pindare qui le dit. Et la fonction, c’est ça. Le rôle, c’est souvent les malades qui vous disent le rôle que vous jouez pour eux. Ça va très loin, même dans le transfert. Parfois on ignore même l’importance qu’on a vis-à-vis de quelqu’un et c’est le quelqu’un en question qui vous dit : « Mais si ! C’est vous qui comptez ! » Ça ne dépend ni du statut ni de la fonction. C’est un rôle comme ça, donné par quelqu’un. Il y a plein d’exemples, même sur un mode psychanalytique le plus strict. Par le patient, si on peut dire le patient, ou l’impatient qui dit : « C’est ça qui compte ». Et même s’il ne le dit pas. Ce n’est pas du tout le statut. Pour prendre position vis-à-vis, par exemple, de quelqu’un que j’aimais bien, Racamier qui avait écrit dans ce livre…

J-F.G : Psychanalyste sans divan4

J. O : C’est ça…. Dans une collectivité, c’est le psychanalyste qui parle de psychothérapie, et c’est tout ! Et les infirmiers là-dedans, ils sont là pourquoi ?

Ce n’est pas pour prendre position contre Racamier que j’aimais beaucoup mais, à mon avis, c’est une bêtise de dire des choses pareilles. C’est pour ça qu’on avait fait le groupe de Sèvres, avec Tosquelles, Bonnafé. On avait fait venir Daumézon qui travaillait à ce moment-là à Sainte-Anne avec des psychanalystes et j’avais pris comme thème de discussion : « Le rôle de l’infirmier dans la psychothérapie ». Ça discutait, ça a pris une telle

4 Payot, 1993

ampleur ! Ça s’est mis à gueuler là-dedans ! Les psychanalystes défendaient leur statut. L’histoire a été relatée par Jean Ayme dans l’Histoire de la psychothérapie institutionnelle5. Elle est restée célèbre. Daumézon était impulsif, il fallait le retenir des fois, il claquait sa chaise, il voulait foutre le camp. J’ai fini par dire : « les infirmiers sont pas plus cons que les psychanalystes ». C’est resté une phrase très célèbre. Ceci pour dire la position même des cadres infirmiers, psychiatres, psychanalystes vis-à-vis de ce qui se passe. Encore maintenant, c’est pire : des stagiaires racontent que dans les universités, dans les groupes de grands psychanalystes, on fait la leçon : « Chez les psychotiques et les schizophrènes, il n’y a pas de transfert ». C’est criminel ! C’est dans ce sens-là que, bien plus tard en 73, on est arrivé à élaborer le « transfert dissocié » qui correspondait à toute la réflexion de Pankow sur la greffe de transfert des psychotiques.

T.G.d’A : C’est à partir de cette réflexion sur les rôles qu’est arrivé la « constellation ». Je pensais au lien entre ce que vous dites sur les rôles et les « réunions de constellations ».

J. O : Et bien exactement…

T.G.d’A : Ce matin, notre guide Evelyne nous disait que…

J. O : Elle se fait appeler Evelyne en plus !

T.G.d’A : Oui, elle disait que les « réunions de constellation » se continuaient mais que parfois il y avait des réunions de constellation sans la personne, pour pouvoir parler de la personne.

J. O : Et que ça faisait progresser la personne. Oui, c’est vrai. C’est banal. Même pour les familles qui sont des institutions souvent plus difficiles que les autres, c’est bien de se réunir de temps en temps, parler un peu, même d’autre chose, mais ce ne sont pas vraiment des constellations. C’est un terme de Tosquelles. Il parlait des constellations.

T.G.d’A : Ce n’était pas Szondi ?

J. O : Ah ! C’est autre chose. J’ai développé ça surtout à partir de 56, 57, au moment de la préparation du deuxième congrès international de psychiatrie à Zurich qui a eu lieu en septembre 57. Racamier avait été chargé par Henry Ey de faire une étude un peu exhaustive de ce qui se passait en psychiatrie aux États-Unis. Je me souviens qu’il avait relaté ce qui se passait prés de Washington. Il s’agissait de la clinique de Chestnut Lodge. Il raconte qu’il y a avait deux sociologues, Stanton et Schwartz, qui sont allés là-bas et qui avaient constaté des choses comme ça. C’était beau et riche.

T.G.d’A : Vous en aviez parlé dans la préface de Pathologie des Institutions6.

5 Jean Ayme, « Essai sur l'histoire de la psychothérapie institutionnelle », dans : Actualités de la psychothérapie institutionnelle, Vigneux, Matrice, 1985.

6 Thierry GOGUEL d’ALLONDANS & Alfred ADAM (dir.), Pathologies des institutions. Réalités, préventions, alternatives, Toulouse, Érés « Pratiques transversales », 1994.

J. O : Ça m’avait frappé. Stanton et Schwartz avaient expliqué que deux psychanalystes voyaient un malade régulièrement, deux ou trois fois par semaine, mais ça ne progressait pas. Les sociologues en question ont rencontré les psychanalystes en disant : « Écoutez, ça n’a pas l’air très efficace votre traitement, il faudrait peut-être changer la formule. Est-ce que vous vous voyez un petit peu dans la semaine ? ». Ils disent : « Non, la neutralité, etc. » « Écoutez, tant pis, voyez vous un petit peu, allez prendre le café, engueulez-vous, sortez, je ne sais pas quoi, voyez vous un peu ! » En fin de compte, c’est ce qu’ils ont fait et, très rapidement, le patient en question, est sorti de son enfermement et a fait un progrès fantastique. J’avais été frappé par ça, lorsque Racamier l’a raconté.

En rentrant ici, j’ai dit : « On a plein de cas très difficiles ici, il faut intervenir autrement. » Il y avait, entre autres, un cas épouvantable, un malade, parano, pervers. Il avait fait plusieurs hôpitaux psychiatriques. Ici, il était sale, on ne pouvait pas le laver. Il était vicieux, démontait les voitures la nuit, des choses insupportables. Il faisait des fugues, il fallait le rattraper. Les gens étaient épuisés. C’était le début de La Borde et ça a duré longtemps. Tous les vendredis, on faisait une réunion, de neuf heure du soir à 11 heures trente – minuit, avec tout le personnel aussi bien les moniteurs que les femmes de ménages, les cuisiniers, les jardiniers, tout le monde qui pouvait rester là. On était loin des trente cinq heures, c’était comme ça. On étudiait des cas difficiles en reprenant les dossiers : « D’où il vient ? Qu’est ce que c’est ce type ? » Et alors, pour celui-là, on dit : « On va en parler ». Je venais d’entendre Racamier. « On va parler de ce type, et en détail, reprenant tout son dossier : d’où vient-il? Que s’est-il passé pour lui ? Comment ça se passe ici ? Qui voit-il ? Ça a duré toute la soirée, à la fin, on a dit : « Qui voudrait partir huit jours en vacances avec ce type-là ? » « Oh ! Il est trop dégueulasse ! » Une jeune fille – qui venait d’être embauché comme femme de ménage et qui est devenu pratiquement une des meilleures infirmières ici – a dit (elle avait vingt-deux ans) : « Et bien moi, je partirais bien huit jours avec ce gars, c’est d’accord » Réaction : « Ah ! Elle est répugnante ! » Et bien, le lendemain, il n’était pas complètement changé, mais il acceptait d’être lavé, de parler, etc. Que s’était-il passé ? J’ai téléphoné à Tosquelles, en disant : « C’est le miracle ! » Et il m’a dit : « Tu as remué le contre transfert institutionnel ! » Et moi je pensais : « De quoi il parle ? »

J-F.G : Qu’est ce qu’il disait ?

J. O : « Tu as remué le contre transfert institutionnel ! » Je n’ai pas bien compris. Dix ans après, j’ai dit : « Il avait raison ». C’est ça qu’on avait remué, bien sûr. Le lendemain, quand on croisait ce type – il y a une liberté de circulation ici, ça compte – il y avait un clin d’oeil des gens qui passaient à côté de lui, un sourire, c’était un peu différent. J’ai appelé ça d’une façon un peu précieuse des « prosdiorismes »7

T.G.d’A : Oui.

7 « C’est ce qui permet de mieux situer et de définir le sens de ce qu’on dit. Les prosdiorismes sont les ancêtres des quantificateurs qu’on retrouve deux mille ans plus tard ; les quantificateurs universels et existentiels ; « Pour tout… il y a… » ou alors : « Pour un… il existe… » Le « un », « tout », « quelque » ou une exclamation, ça précise ce qui a été dit. Ça, ce sont des petits mots qui passent inaperçus la plupart du temps. L’analyse joue en effet sur ces petits mots-là. Parce que le même message aura un sens tout à fait différent suivant la tonalité : « Le petit chat est mort », par exemple, cinquante fois de suite, c’est très différent, mais pas simplement. Il y a les intonations, ça peut être désespérant, ou alors la joie complète. » Jean OURY, Les séminaire de La Borde 1996/1997, Nîmes, Champ social, 1998, p. 18.




J. O : C’est ce qui compte le plus dans la quotidienneté. Quand on passe à côté de quelqu’un en faisant la gueule, il fait la gueule, mais s’il y a un tout petit sourire, et bien on a changé quelque chose. C’est à tel point que, depuis, quand quelqu’un est vraiment très difficile, les gens disent : « On fait une constellation ». De fait, on n’en fait pas assez. Mais c’est très important, on joue sur ce que j’avais appelé « le transfert dissocié ». La dissociation, elle est quand même quelque part. C’est là qu’il y a des quantités de petits détails qui sont importants. Ce n’est pas le transfert classique dans la schizophrénie. Il y a de tous petits détails. Je dis ça tout le temps, c’est un peu stéréotypé, mais ça ne fait rien.

T.G.d’A : Il y a une autre question que j’aimerais bien vous poser. Je sais qu’à La Borde vous accueillez beaucoup de stagiaires – il y a des stages payants et j’étais venu au stage payant.

Pour l’instant, je suis toujours formateur dans un institut de formation au travail éducatif et social, et je vois, comme Jean-François, les catastrophes et les dégâts de la formation. Donc pour ma part, j’ai l’impression, même si je n’arrive pas à mettre de mots là dessus, qu’ici, quand on vient en stage à La Borde, il y a quelque chose qui se passe de l’ordre de la formation. Mais cette formation là aujourd’hui, elle est loin d’être reconnue ! Là, de votre place, qu’est-ce que c’est la formation ? Qu’est ce qu’il faut pour être psychiatre, pour être infirmier psychiatrique, pour être cuisinier auprès des pensionnaires de La Borde ? C’est quoi pour vous la formation aujourd’hui, tellement malmenée ?

J. O : Pour répondre un peu en biais, à propos de la réunion du soir dont je parlais, il y a beaucoup de gens qui y sont venus, ils étaient psychologues, certains sont devenus psychiatres, ils disent : « C’est là que nous avons appris la psychiatrie bien mieux qu’à la Faculté. Nous avons appris dans ces rencontres, ces histoires de constellation, ces initiatives, toute la vie quotidienne… »

Dans tous les congrès importants, par exemple ceux des associations culturelles, la première chose dont je parle, c’est la vie quotidienne. La vie quotidienne, c’est la base même. La vie quotidienne est détruite quand il y a des cellules, de la contention, de l’inactivité. Je reçois beaucoup de témoignages, et je peux vous dire que la vie quotidienne dans certains grands hôpitaux, ce n’est pas drôle ! On arrive, on vous fout en pyjama, on vous isole, on vous met dans une salle. Une heure trente par semaine, on a le droit de sortir dans le petit jardin, on voit le psychiatre une fois par semaine, et c’est tout. À mon avis, ce n’est pas du traitement. C’est, je ne sais quoi, et pourtant le prix de journée est 20 à 30 fois plus cher qu’à La Borde ! La vie quotidienne, c’est à partir de toutes les nuances, à condition de structurer quelque chose.

Un exemple : un copain psychiatre est allé à Marseille pour voir ce qui se passait dans les institutions. Je ne sais plus laquelle : la vie quotidienne c’était au clairon ! Le matin, pour distribuer les médicaments, une file de malades attendait. Comme pendant l’occupation, on attendait pour avoir un bout de sucre, et puis c’est tout. Le reste, les ateliers, il n’y avait rien. La vie quotidienne, c’est la chose la plus subtile, ce qui fait l’épaisseur même de la vie de tous les jours, alors, il faut la structurer, ce n’est pas n’importe quoi, ça demande des efforts. Je ne sais pas si vous avez remarqué, hier, pendant ce qu’on appelle le Comité d’Accueil. Il y avait beaucoup de monde. Depuis des années, j’essaie qu’on mette en place collectivement ce qu’on appelle « le GAP » (Groupe d’Accueil Permanent) – il n’y a que des abréviations ici ! Le GAP, ça demanderait quinze à vingt personnes, et malheureusement il n’y en a que trois ou quatre qui font ça. « Qu’est ce que vous avez fait ce matin ? » « J’ai fait le GAP ! » Le GAP, c’est accueillir les gens de l’hôpital de jour, mais également aller chercher les gens là où ils sont, dans les pavillons, aller les voir dans la journée. Mais ça ne se fait pas ! Comment relancer ça, en faisant des discours ? On entend tout le temps : « Il y en a trois, quatre qui le font ! Mais pas quinze ! » Et puis dans une conversation : « Quand même La Borde, qu’est ce que c’est chouette ! Il y a du théâtre, des sorties, oui, mais il y a bien quinze personnes qui sont abandonnées » Ceux que je veux appeler les LPC (Laissés Pour Compte). Mais le GAP, pour que ça fonctionne, c’est d’avoir accès à ces LPC. Ça a été relancé par une malade, une pensionnaire. C’était J… qui l’a dit a une autre qui l’a dit à une autre et c’est l’autre – je ne voulais pas que ce soit moi – et c’est l’autre, B… qui a dit : « Il faudrait s’occuper des laissés pour compte, parce que ce sont des gens qui restent couchés dans leur chambre. » On pense à ces gens qu’on voit dans les vieux hôpitaux, des schizophrènes catatoniques.Il y en a un qui dit bonjour le soir, il dit bonjour, puis il reste là toute la journée. Je dis : « Alors et les sorties ? » C’est le risque ici de l’hyper animation qui ne tient pas compte, pourtant, de ceux qui ne peuvent pas s’animer. On est là quand même pour ça. Si on ne le fait pas ça aboutit à une chose redoutable qu’on voit apparaître un peu partout, et qui s’appelle l’écrémage. On se débarrasse de ceux qui sont gênants, les LPC. Allez hop ! On met ça dans le camion, et on les amène ailleurs ! Mais où ? Voilà, ça c’est le côté, on ne peut pas dire négatif de La Borde, mais qui doit être mis en question tout le temps. Tout le temps. Mais si c’est moi qui le dis, ça ne sert à rien ! Il faut voir avec le personnel… Si on posait des questions à la moitié du personnel ici en leur demandant « Qui c’est Tosquelles ? » La réponse serait : « Qui ? Quoi ? » C’est ça à peu prés…

T.G.d’A : C’est triste.

J. O : Je fais un séminaire depuis février 71, chaque semaine, le samedi soir, de 7 heure moins le quart à huit heure et quart. Deux mille séminaires, y a eu. Il y a des gens qui viennent de l’extérieur, des stagiaires et des malades…

T.G.d’A : Beaucoup !

J. O : Mais peu de membres du personnel. Deux personnes, de temps en temps ! J’ai même entendu dire : « Oui, c’est pour les intellos ça ! », des choses comme ça. Il n’y a pas qu’à La Borde que c’est comme ça. Deux milles séminaires où j’ai tout dit. Au début j’avais été encouragé par des copains qui disaient : « Pour comprendre Lacan, lisez Oury ». C’était gentil ça ! J’ai essayé de cultiver, de mettre des couches de Lacan dans toute la région Ouest de la France, un peu de Lacan comme ça. Tous les séminaires pendant 2000 séances, j’ai compté, ça fait 12 000 pages ! Ils sont tous tapés.

J-F.G : J’avais une question à vous poser. Je m’excuse par avance d’insister encore sur mon inquiétude, qui est très grande, à propos de la situation actuelle de la psychiatrie. Pas celle de la Borde, bien sûr. Mais dans beaucoup d’endroits et y compris du médico-social, c’est la question des « décideurs » (dont vous dites quelques mots, toujours dans le même bouquin du Japon), qui s’impose. Et je me demande si dans ce clivage entre les décideurs et les gens du quotidien, dont vous venez de parler longuement, on ne peut pas voir une perversion radicale. À savoir que le quotidien, c’est aussi l’espace d’aliénation, dans lequel on a placé dans ce système de management actuel, l’infirmier ou le praticien de terrain. Comme si « le terrain » c’était exclusivement la proximité avec le malade, la « présence proche » comme disait Deligny. Donc je me demande s’il n’y a pas à réfléchir au quotidien, aussi, de façon critique. S’il ne faut pas se dire que dans le fond, il y a une forme de quotidien qui est un déni de la mise en perspective historique, « historiale » même vous dites quelquefois, comme si l’on enfermait les gens dans une sorte de « ici et maintenant » limité, sans l’accompagner d’une ouverture sur les concepts. Comme s’il n’y avait pas d’entours.

J. O : Mais regardez là ! [il montre sa bibliothèque] Regardez ça ! C’est un séminaire de Saint Anne parmi les trente. Cela s’appelle La Décision et ça va paraître. On y trouve une critique du « décideur ». C’est une « horreur », ce concept ! C’est le « décisoire » qui est en question. J’y reprends toute la thématique de Jacques Schotte et quelques autres. Ça va paraître. Ça a été corrigé ; je crois que ça a été bien corrigé.

J-F.G : Ça va paraître où ?

J. O : Ça va paraître dans « La Boite à Outil », ça dépend d’Institutions 8. On a fait paraître dans « La boîte à outils » des textes de Jacques Schotte.

J-F.G : Ah ! Bon ! C’est devenu une maison d’édition ?

J. O : Ça dépend de la revue Institutions. Mais on peut y faire paraître des choses comme plusieurs textes de Jacques Schotte, remarquables. Pour le séminaire de Saint Anne, il n’y en a que deux qui sont parus, L’Aliénation et Le Collectif. Il y a encore La Décision, La Vie quotidienne, La Hiérarchie… Ils sont en train de s’y mettre ; ça fait beaucoup, quand même trente ans.

T.G.d’A : C’est Brivette qui tape tout ?

J. O : Brivette en a tapé, maintenant y a plein de gens qui s’occupent de ça ici et à Paris. À Paris, y a Dominique et puis Anne-Marie. Celle-ci travaille au CNRS, elle vient régulièrement au séminaire de Sainte-Anne, elle est extraordinaire. Elle prend tout, et quand je dis quelque chose, que je cite un auteur, elle va chercher. Elle développe tout. C’est fantastique.

J-F.G : Surtout que vous en citez beaucoup !

J. O : Et oui, c’est incroyable ! Donc il a un énorme travail sur les séminaires d’ici et ceux de Sainte-Anne, mais ça reste en chantier. Pour La Décision, ça y est. Tous les problèmes de Jacques Schotte sur la décision, y sont repris. C’est énorme.

J-F.G : Ça devient un métier, la décision.

J. O : « Décideur », pour moi, c’est un terme obscène : le décideur pour qui se prend-t-il ? C’est effrayant, de décider. On voit bien que les grandes décisions sont prises collectivement.

Par exemple, je pense à une chose apparemment banale : les gens qui mangent trop, il faut faire une table de régime. Il faut donc que le cuisinier soit dans le coup. À plusieurs reprises avec le personnel, on a essayé de faire des tables de régime. Mais au bout de huit jours, il n’y en avait plus. Alors, voilà qu’une pensionnaire d’ici, B… celle qui a pris la parole hier et que je vois tous les jours – elle a une histoire très complexe, fracture de la jambe après complication par ostéoporose – elle dit : « J’en ai marre d’être grosse comme ça ! » B… avait été présentée ici avec un faux diagnostic – là aussi, les faux diagnostics avec le DSM9 –« schizophrénie paranoïde », etc. Rien du tout, ce n’est même pas une psychose hystérique, c’est plus compliqué que ça. Elle se présente donc, elle a grossi, c’est embêtant pour ses hanches, elle a vu un médecin pour faire un régime mais comment faire un régime ici. Et bien elle m’a dit : « Je vais constituer une table de régime ! ». Début janvier, elle a rassemblé autour d’elle cinq personnes et ça marche ! C’est la première fois qu’à La Borde ça marche parce que, du côté du personnel, ça ne tenait pas. Il y a longtemps de ça, et ça marche

8 Institutions. Revue de psychothérapie institutionnelle, Clinique de La Borde, 41700, Cour-Cheverny. 9 Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM I à V) en français.

encore. Les cuisiniers qui en sont très contents me disent : « C’est formidable, avec B… ça marche bien ! » C’est dire que les initiatives concrètes c’est avant tout du quotidien, ce n’est pas venu d’un décideur qui aurait abouti à rien du tout. Tandis que collectivement, comme ça, c’est bien plus accepté. Ce qui n’empêche pas qu’il faut un contrôle avec un médecin.

[Un coup de téléphone nous interrompt pendant quelques minutes]

J. O : C’était Ginette Michaux ! Reprenons. Donc, c’était pour donner un exemple d’initiative, mais il n’y a pas que ça. Il y a plein d’initiatives qui ne viennent pas des décideurs. C’est d’une fonction décisoire, qu’il faut parler. Il peut se faire qu’il y ait des gens qui n’aiment pas que les malades prennent des décisions. Qui pensent qu’ils sont là pour être soignés. Soignés soignants, qui soigne qui ? Tout ça, ça pose le problème du transfert, le transfert multi-relationnel, qui prend toutes sortes de formes. Ça fait penser par exemple au schizophrène qui a un hyper contact mais complètement dissocié. Alors là, c’est compliqué, mais justement avec une structure polyphonique comme disait Tosquelles, ou multi-référentielle – ce sont toujours des termes de Tosquelles – on arrive à prendre des décisions. Mais pas par le décideur officiel, le chef de service. Ce n’est pas étranger aux CEMEA, ce que je raconte là. Je me souviens l’importance que donnait Germaine aux repas dans les hôpitaux. Il faut que ce soit propre. Des fois elle venait ici, elle disait : « C’est dégueulasse » C’était sympathique !

T.G.d’A : Maintenant ils ont inventé les repas thérapeutiques. C’est une espèce de convention, des effets des décisions de managers. On va décider que cette espèce de repas est thérapeutique. Ceux qui y seront sont payés et les autres ne le sont pas.

J-F.G : Jean Oury, vous avez évoqué les CEMEA qui sont encore un des grands courants pédagogiques, très important après la guerre, et qui a à voir avec la formation des infirmiers en psychiatrie. Et j’en suis à me demander si la difficulté que vit la psychanalyse aujourd’hui ne vient pas d’un désintérêt assez radical pour la question pédagogique. Tout en vous écoutant, je pensais à Fernand Oury et à Freinet. Je vous entends à la fois comme un psychiatre, comme un psychanalyste, mais quelque part aussi comme un pédagogue, quand vous parlez du quotidien. Une sorte d’attention au moindre détail de la vie quotidienne qui concerne les gens dont vous vous occupez. Je parlais d’ailleurs dernièrement à Thierry, d’une idée qui nous est venue à quelques uns, avec des gens d‘un établissement suisse dont vous avez peut être entendu parler qui s’appelle « Le Home chez Nous ». C’est l’établissement créé par Ferrière.

J. O : Ah ! Oui !

J-F.G : Oui, le type qui a fondé l’Éducation Nouvelle dans le monde10 et en discutant comme ça, autour d’un repas suisse avec force vin blanc de là-bas, un moment de convivialité très fort, nous est venu l’idée de travailler cette question entre nous de la pédagogie et de la psychanalyse. Pourquoi les psychanalystes s’intéressent si peu à la pédagogie. Et les suisses sont en train d’attraper l’idée. Ils ont sorti de leur cave un film du « Home Chez Nous » que

10 Adolf Ferrière (1879-1960) a été un des fondateurs et inspirateurs de l’éducation nouvelle dont il a rédigé lui-même la charte et ses « trente points » qui la définissent dès 1918-1921. Il était directeur du bureau international de l’éducation nouvelle et organisateur infatigable de ses congrès où vont se retrouver les grands pédagogues de son temps (Decroly, Claparède, Freinet, Cousinet, Bovet, Montessori, de Failly, etc.).

Ferrière a passé dans le monde entier, à l’époque. Vous savez sûrement que Ferrière était sourd, il était lui même très handicapé, avait besoin d’un support pour exprimer ses idées. Et on se demandait s’il n’y avait pas quelque chose à faire émerger là. En fait toutes ces histoires qu’on fait au packing, les difficultés de comprendre et d’accepter la psychothérapie institutionnelle, est-ce que ça ne vient pas non plus d’un certain déni des psychanalystes peu intéressés de la question pédagogique ? Ils ont vu les choses à partir du Lacan théorique, et cela de façon un peu obsessionnelle, en partant des concepts et en y restant, en ne regardant pas la « vie vécue ». Vous, faites la différence entre la vie et l’existence. Ça vous inspire quelque chose ?

J. O : Oh ! Oui, plus qu’inspirer. Mais d’une façon un peu polémique de ma part –, – je ne sais pas s’il faut le dire – ce qui est dominant dans la structure actuelle de la société, ce sont les grands mots, c’est la bureaucratie. Il y a un progrès fantastique, monstrueux, de la bureaucratie. Je vais même jusqu’à dire, jusqu’à me faire taper dessus, que la bureaucratie a envahi le champ de la psychanalyse. Quand je suis de bonne humeur je dis que cinquante pour cent des psychanalystes, sont des bureaucrates. C’est méchant, il ne faudrait pas dire des choses pareilles. Mais quand même ! Je pense à ces psychanalystes qui n’interviennent pas auprès de gens qui vont crever au nom de leur soi-disant neutralité. Il y en a plein.

J F.G : Ce n’était pas tout à fait Lacan, çà, la neutralité.

J. O : Ils n’ont pas compris Lacan. En fin de compte, il fut le plus concret de la bande. Je parle par exemple du concept du « semblant ». C’est quelque chose d’extraordinaire à condition de l’expliciter. Les gens disent : « Ah ! Le semblant ! », mais ils ne comprennent rien. Le « semblant » c’est ce qu’il y a de plus concret. Un peu dans le même sens à propos de la schizophrénie, je disais que ce qui compte, c’est la spaltung. La spaltung, à condition de bien traduire, ce n’est pas facile !

Le transfert lui-même est pris dans la spaltung : il est dissocié. Je cite souvent, dans la phénoménologie un personnage comme Rümke quand il parle de l’instant de voir. C’est ce que disaient des psychiatres intéressants comme Lopez Ibor ou Kretschmer. L’instant de voir : Praecox Gehfühl. Cela a été traduit bêtement par des professeurs en 35, ils ont traduit « sentiment du précoce ». Rümke dit au contraire : « Mais c’est l’instant de voir ». Quelqu’un, passe la porte, il entre là, et tu te dis : « Tiens ! C’est un schizophrène ! ». Je cite toujours le cas d’un jeune homme, qui m’était adressé il y a deux ans, avec lettre à l’appui de plusieurs psychiatres. De ce type, qui avait été enfermé mais pas attaché, on me dit : « Est-ce que vous pouvez recevoir ce jeune homme, 32 ans, schizophrène paranoïde à tendance paranoïaque ? » Je me dis : « Oh là là ! Et bien qu’il vienne ! ». Là-dessus, il entre, je le regarde, un beau jeune homme, trente deux ans, bien. Je lui dis : « Mais vous n’êtes pas schizophrène ! ». Il me répond avec un sourire : « Bonne nouvelle ! »

[Rires]

Il me dit : « Ben je me suis un petit peu drogué ». Je lui dis : « Avant de venir ici, il faut voir, aller avec tout le monde, allez déjeuner, et puis venez dans trois heures. » Et j’ajoute : « Vous savez, je vous préviens, ici, il y en a des vrais ! » Il est venu trois heures après, il m’a dit : « J’en ai vu des vrais ». Et l’on s’est quitté. C’est quand même très grave de faire des diagnostics en remplissant des cases. C’est une honte, le DSM 3, DSM 4 et compagnie. C’est appliqué par beaucoup de psychiatres et de psychanalystes avec des effets redoutables. En même temps, ça va très bien avec la bureaucratie.

T.G.d’A : Pourtant, c’est intéressant de le lire pour voir jusqu’où va la bêtise.

J. O : Avec Jacques Schotte, dès le début du DSM, on avait mis le paquet. C’était une bonne idée du congrès de Zurich. Il y avait en effet des diagnostics qui ne sont pas les mêmes d’un pays à l’autre. Il fallait unifier. Le résultat : les compagnies d’assurance s’en sont servies.

J-F.G : Ils n’ont pas supporté l’hétérogène, diriez vous.

J. O : Exactement. Ce sont des choses comme ça, constamment. Ce n’est pas simplement au jour le jour, c’est tout le temps, toute la journée, qu’on est confronté à de telles rencontres. Un des aspects les plus importants de notre travail, c’est de maintenir un certain coefficient de tuchê, de rencontre. Les rencontres c’est ce qui est efficace dans les groupes. Cela a valeur d’entraînement.

On a bien vu, par exemple, B… Il faut trouver un système de rencontres, pour constituer quelque chose en rapport avec la question. Par exemple : « Qu’est ce qu’on va faire avec des gens dont on ne s’occupe pas ? ». Et alors, là, il y a tout un travail du collectif, qui se remet en question constamment. En fait ce n’est jamais fini. Si on se dit que maintenant ça y est, on se trompe, car au bout d’une heure il faut recommencer. C’est d’une complexité, ça s’infiltre, peu à peu. La bureaucratie là dedans c’est foutu ! Par exemple, une autre histoire, on a eu l’accréditation. Je peux vous citer un petit exemple connu. La dernière accréditation, c’était il y a à peu prés deux ans. Ils viennent en général le mardi matin, à 8 heure trente, jusqu’au vendredi soir 5 heures, un petit groupe, avec des psychiatres, qui en font partie…

J-F.G : Qui vous connaissent forcément.

J. O : Qu’est ce qu’ils viennent faire là dedans ? Alors, ils sont arrivés à huit heures trente. Ils avaient écrits avant : « On viendra tel jour à telle heure, surtout qu’on ne voit pas de malades ! »

[Rires]

J’avais dit : « Ici il y a un groupe d’accueil qu’on appelle les « poissons pilotes ». Ils sont quinze, et j’avais fait dire aux poissons pilotes qu’ils viennent à neuf heures. Les autres sont arrivés à huit heures trente. Ils demandent : « Est ce que vous avez une fiche de justification ? » Moi : « Pour justifier quoi ? J’estime qu’un médecin qui ne s’auto justifie pas 24 heure sur 24, ce n’est pas un médecin ! ». Ils se sont aplatis un peu. À 9 heure moins 5 arrive l’urgence et un type de l’entretien. À propos d’un malade qui était ici depuis pas mal de temps. Il avait la passion de faire des modèles réduits d’avions, en balsa, pour les faire voler, on lui avait aménagé un petit atelier. Le type de l’entretien vient me dire comme ça en douce : « Ben je l’ai vu, et bien il est mort. » « Il est mort ? » «Oui, il est mort ! »

J-F.G : Dans l’établissement ?

J. O : Ici. On se dit ça. Qu’est ce qu’ils ont fait, les accréditeurs ? Ils n’ont pas dit : « Oh ! La la ! Quelle histoire ! ». Ils ont pris et mesuré le temps qu’on mettait pour prévenir la mairie, le généraliste extérieur, c’était noté. Pendant ce temps, ça s’est diffusé tout de suite, la mort de ce type, comme d’habitude. Un groupe de malades s’est formé dans la matinée même pour partir d’urgence, à quatre ou cinq, à 100 kilomètres, pour aller voir la mère du type en question qui était une vieille femme, il fallait la soutenir. Tout ça c’était un deuil, c’est quand même la base de la civilisation.

J-F.G : Tout à fait !

J. O : Oui, les techniques de deuil. Ils ont assisté à ça, les accréditeurs. Et bien le vendredi, ils font un compte-rendu pour la première fois. Ils avaient dit : « On fera un compte-rendu, mais il ne faut aucun malade devant nous. » Mais là, les malades pouvaient venir. C’était au moment du comité d’accueil, on n’allait pas changer les habitudes. Et à quatre heures, ils ont fait le compte-rendu avec des courbes, en rose en bleu en vert, en faisant des discours. Tous les malades étaient là. De temps en temps on entendait : « Oh ! ». À un moment donné, l’un dit : « Au fond, ce n’est pas mal du tout. Il y a qu’une chose qu’il faudrait rectifier, c’est que dans votre règlement intérieur vous n’ayez pas insisté sur le fait qu’il faut faire signer au malade s’ils sont partisans ou non du don d’organe ». Dire ça devant tous les malades après la mort de celui qu’on allait enterrer, les malades ont fait un « Oh ! » scandalisés. Voilà, il y a beaucoup d’histoires comme celle-là. C’est quand même un peu limite…

J-F.G : J’étais en train de me dire à propos de notre entretien, et malgré les digressions apparentes : Les anecdotes qu’il développe sont une réponse à mes questions et aux questions que se posent beaucoup de gens qui veulent essayer de travailler dans des institutions qui deviennent de plus en plus difficiles. Et vos anecdotes correspondent exactement à des types de réponses en termes de résistance…

J. O : C’est ça tout à fait, oui.

J-F.G : Et lorsque je vous parlais de l’ANESM au début, et que vous n’avez pas su ou fait semblant de ne pas savoir, c’était peut être une forme de réponse. Pour vous cette instance n’existe pas. Et le packing et l’histoire de Delion ?

J. O : Ça c’est une histoire, le packing. Delion a appris ici à faire le packing. C’était Woodburry un médecin américain qui a travaillé d’abord en Suisse, puis avec Paumelle dans le treizième arrondissement. C’était avant 70. Ils sont venus ici. On a appris le packing. On est allé dans divers établissement pour dire : « C’est un traitement de l’hôpital » Un petit groupe de moniteurs, trois, quatre, chaque séance autour du malade, l’écoutent, prennent des notes. Chaque semaine, ce groupe se réunit pour parler du malade : ce qu’il a dit, ce qui s’est passé. Ça a duré des années. En même temps ça modifie l’ambiance, parce que le malade qui est passé par le packing, on le connaît mieux. Il peut être pris dans des systèmes d’occupation, d’initiatives. Ce n’est pas un traitement : une tranche « packing » et puis plus rien d’autre. On allait avec Delion dans des institutions en répétant : « Le packing, c’est un traitement d’hôpital, un traitement d’établissement, parce qu’il y a une équipe ». Je disais la même chose quand il y a eu les cures d’insuline comme le Sakel. Le packing, c’est pareil, un traitement d’hôpital. C’est ce qui a été soutenu par Delion. Je suis encore allé le mois dernier à son DU à Lille, et on a beaucoup parlé du packing. Les gens qui ont été au packing en ont redemandé. Ça a eu, un succès mondial, même aux États-Unis. J’ai reçu, il y a quelques jours, le compte-rendu de l’Ordre des Médecins.

J-F.G : Ils l’ont blanchi.

J. O : Sauf qu’on ne peut, suivant ce rapport, appliquer le packing que pour les autistes dangereux pour eux-mêmes.

J-F.G : Dans certains cas très limite.

J. O : Et ça n’a aucun sens. On a essayé d’expliquer ça sur un plan neurologique. On a confondu ça avec une activité du Club. Moi, j’aimerais bien faire un packing de temps en temps, je serais tranquille ! Et voilà Delion menacé de mort, par cette bande de fous !

J-F.G : C’est dire que là, Pierre Delion a été démuni par un phénomène qui envahit le médico social, le phénomène des lobbies. Il faut bien se dire que le médico-social est géré pour 80 % par des associations parentales.

J. O : Voilà, c’est ça !

J-F.G : Et que dans ces associations parentales, notamment les associations préoccupées du problème de l’autisme, certaines ont un impact considérable. On y trouve un certain nombre d’intellectuels, de gens de pouvoirs qui ont pu mobiliser des personnalités médiatiques ou des personnes politiques. Je pense à Simone Veil qui a pris des positions extrêmes et à mon avis inadmissibles concernant Bettelheim. C’est quelque chose qui m’a toujours affecté, que des gens qui n’ont pas lu Bettelheim de toute évidence critiquent son travail. Et on peut citer des textes qui sont extrêmement clairs où Bettelheim dit bien qu’il ne s’agit pas de culpabiliser les parents. Ces gens-là sont partis dans une sorte de guerre, ils ont fait une fixation sur Delion et sur la question du packing, en confondant « contention » et « enveloppement ». Et ça marche !

J. O : Et en même temps malgré tout, et en arrière plan, les laboratoires de biologie aux États-Unis, croyant qu’ils avaient trouvé la molécule pour soigner l’autisme. C’est terrible. On en a parlé à Paris au mois de Janvier dernier à une rencontre au Lycée Henri IV. J’étais venu huit jours après, pour conclure. Ils ont fait des études depuis le mois de septembre sur les séminaires et sur le GTPsy11. On a parlé du packing comme étant très banal, rien du tout, c’est moins pénible qu’une piqûre.

J-F.G : Mais c’est aussi quelque chose qui mobilise les infirmiers, les acteurs de terrain, ceux qui doivent fermer leur gueule, et qui ne devraient pas avoir de soucis quant au travail d’équipe, etc. le travail d’équipe, une fois de plus, c’est le décideur qui l’oriente.

J. O : Enfin voilà. Qu’est ce qu’on peut dire encore ?

T.G.d’A : Ce n’est pas très réjouissant, le monde tel qu’on l’a dessiné.

J. O : Ce n’est pas réjouissant du tout. Ce n’est pas les clairons de la victoire. Il y a des infiltrations bien plus graves que le packing, c’est la bureaucratie. Ce n’est pas nouveau, sauf...

11 GTPsy, ce groupe s’était constitué autour des expériences de psychothérapie institutionnelle en France notamment à La Borde, Fleury-les-Aubrais, Saint-Alban, Prémontré, Clermont-de-l’Oise...

...sauf que ça prend des proportions fantastiques. Je relisais dernièrement un type que j’ai toujours trouvé génial, c’est lui qui m’a fait connaître Tosquelles et Lacan, c’est Ajuriaguerra, de Bilbao. Ce n’est pas un catalan. La réponse à Henry Ey publiée en 47 sur la séparation de la neurologie et de la psychiatrie, cette vraie connerie. Et puis après il avait publié Le cortex cérébral qui est un véritable chef d’oeuvre.

J-F.G : On en parle en psychomotricité, de ça.

J. O : C’est même réédité chez Hermann en petit format, on va peut-être le rééditer dans « La Boite à Outils ». Pour moi, Ajuriaguerra, c’est l’absolu. Toutes ces simplicités d’Henri Ey : la catastrophe c’est d’avoir séparé neurologie et psychiatrie, en 70-71. Tosquelles en avait été malade. La scission entre psychiatre d’adulte et psychiatre d’enfant… Tout cela sans réflexion, maintenant il faut voir ce qu’ils en ont fait.

Je prends, par exemple, toute l’aventure de l’École Freudienne, sans entrer dans le détail. Lacan, je l’ai connu jusqu’à sa mort. Il y a eu une dégradation à partir de 74, c’était net. Quand Lacan est venu aux journées de Rome en novembre 74, il était un peu déprimé quand même, mais n’empêche qu’il a dit : « La psychanalyse c’est foutu ! ». C’était impressionnant ! J’étais à côté d’un type que j’aime bien, Pierre Legendre, finaud sur le plan de la rhétorique. Après le discours de Jacques-Alain Miller, il m’a dit : « Tu sais, ce qu’on vient d’entendre, c’est un discours funéraire. » C’est énorme, maintenant on a le livre de Clavreul qui vient de paraître. Il était très sympathique, il a fait partie de l’École Freudienne. Il a été pendant onze ans au jury d’agrément. Moi j’y étais pendant 4 ans, j’en avais marre, je suis parti, il est resté. Il s’est fait mal voir par toute une bande. Il est mort, il y a deux ans et quelques. Trois tomes sont édités. Il était aveugle à la fin, il dictait.

Le séminaire du samedi soir, j’en ai eu marre, je dis : « Il faut que quelqu’un me remplace de temps en temps quand même ! » Et Lacan ? Il faudrait parler de Lacan, un de ces jours, pour l’enlever de cette tourbe. Par exemple, j’ai dit : un des concepts des plus opératoires, c’est « le semblant ». Mais ils en ont fait, je ne sais pas quoi, j’essaie d’en parler un peu partout, c’est très concret le semblant.

T.G.d’A : Ce que vous racontez depuis le début, c’est des clivages : la neurologie et la psychiatrie, psychiatre d’enfants et psychiatre d’adultes…

J. O : Ça prend une telle proportion. La Haute Autorité depuis deux ou trois ans accentue le clivage au point qu’il y a des médicaments qu’on n’a plus le droit de prescrire et il n’y a que les neurologues qui doivent prescrire. Par exemple, le rivotril. Banal le rivotril. Mais interdit aux psychiatres de prescrire le rivotril. Seuls les neurologues peuvent le faire. Là-dessus, j’en avais prescrit pour voir un peu et une pharmacienne de Tours m’a téléphoné, il y a deux trois semaines en me disant : « Je m’excuse, on est surveillé, je ne peux pas donner l’ordonnance, parce qu’il faut que ce soit un neurologue qui prescrive le rivotril ». Ils nous prennent pour des cons. C’est effrayant. Bien sûr qu’on ne peut pas tout savoir, mais enfin quand même.

On nous dit : « Il y a le cerveau, le cerveau ! ». Mais le cerveau, c’est quoi ? Bien sûr, pour lutter contre la vieillesse, il faut marcher, jouer aux cartes, faire marcher les mains, se remettre au piano, comme moi. Mais quand ils disent qu’ils ont trouvé là une molécule contre l’Alzheimer, là ça me fait rigoler.

J-F.G : J’avais envie de vous citer quand vous dites : « Si l’on confond l’existence et la vie, on glisse très vite dans cette chose horrible qu’on appelle le biopolitique souligné par Benjamin et repris par Foucault et Arendt ». Vous parlez du virage actuel du bio politique. La confusion entre la vie et l’existence…

J. O : C’est de ça qu’il s’agit. Il faut parler de l’existence et non pas de l’existentialisme. De l’existant au sens de Kierkegaard. Il faudra parler de Kierkegaard un de ces jours. Ça sera pour un autre numéro. On me demande souvent : « Alors vous avez été en analyse ? » Je dis : « Oui, parce que moi, je suis incurable. J’ai eu trois analystes : Kierkegaard, André Gide et Lacan »

[Rires]

Oui, Kierkegaard. Encore la semaine dernière, j’étais à Pontarlier, j’ai commenté un texte de Kierkegaard pendant une matinée, magnifique. Lacan est très kierkegaardien. Il avait commencé à en parler en novembre 1963 avant de partir de Sainte-Anne. Mais il a fallu qu’il quitte Sainte-Anne. C’est Lévi-Strauss qui lui a trouvé la rue d’Ulm, quand il avait parlé du « grand étranglement ». En partant, d’une façon toujours un peu grandiose, il avait dit : « C’est dommage, ça aurait été une année kierkegaardienne » Oui, c’est vraiment dommage, ça aurait vraiment été une lecture étonnante.

Jacques Schotte, lui aussi, avait fait un séminaire d’une année sur Kierkegaard. C’était remarquable et ça reste très actuel. Quant à Gide, c’est pour le style. Je me souviens, quand j’suis arrivé à Saint Alban en septembre 1947, avec Tosquelles, une des premières choses qu’il m’a dit – il parlait tout le temps : « Allez ! On va aller chez la comtesse du coin, on va lui demander du fric pour faire un club ». Et il ajouta : « En fin de compte on fait partie de l’association des Mille Pattes. Les « Mille Pattes » c’est Gide, dans les Caves du Vatican, l’association des Mille Pattes c’est le curé Protos qui fait croire qu’on a enfermé le pape et qui va chez les gens qui ont du fric pour dire : « Donnez-moi du fric pour sauver le pape ! »

[Rires]

Oui, c’est la première chose que m’a dit Tosquelles en arrivant. On rentre à l’hôpital, il faut faire le Club. Technique du cheval de Troie, on rentre tranquillement et Vroom… Le fric uniquement pour le club, pas pour l’hôpital ! Tout ça c’est lié. Il n’y a pas d’un côté neurologie et psychiatrie et, justement, c’est pour ça que j’aime beaucoup Ajuriaguerra. Il est d’une finesse ! C’est un clinicien fantastique. Dernièrement, on a retrouvé un CD d’Ajuriaguerra et ça pourrait intéresser les gens, ça. Il l’avait enregistré à Genève en 71. Ce n’est pas du tout le même tempérament que Tosquelles.

J-F.G : Tosquelles en remettait toujours un peu trop !

J. O : Un peu trop. Quand je suis arrivé à Saint-Alban, la première chose dont on a parlé, c’était de Kierkegaard. C’était pour préparer sa thèse sur la fin du monde. Il était en train de lire un texte sur Kierkegaard de Jean Wahl. On ne devrait pas lire des choses sur Kierkegaard. Kierkegaard, c’est direct, on ne va pas lire Kierkegaard avec des universitaires.

J-F.G : C’était La Conception de la Fin du Monde. Je ne l’ai jamais trouvé.

J. O : Et pour cause. Il a écrit ça en 48. Je lui ai corrigé ses espagnolismes. On a bien travaillé, ce texte n’a jamais été publié. Le groupe de gens de Nantes, la fondation PI, avaient une imprimerie, et à l’intérieur de la fondation PI, entre Angers et Nantes, ils ont édité la thèse de Tosquelles, mais en 88. Quarante ans après ! Et puis ça a traîné un peu. Je vais vous la montrer quand même.

(Jean Oury se lève et va chercher quelque chose dans sa bibliothèque derrière le bureau. Pendant ce temps, se mène une conversation avec le petit fils d’Oury sur Don Quichotte inspirée par la statue de Don Quichotte posée dans le bureau de Jean Oury remarquée par Jean-François Gomez. Le petit fils raconte que Thierry Guilhem, le cinéaste, devait faire un Don Quichotte, c’était le projet de sa vie, mais il n’a jamais réussi à le faire. Il a passé plus de vingt ans sans jamais y arriver. Jean Rochefort devait faire Don Quichotte. Sancho, c’était Johnny Deep. Sauf que Johnny Deep était « déchiré » tout le temps, Rochefort s’était fait un tour de rein à cheval, il y a eu des tempêtes. Enfin, à chaque fois qu’ils voulaient s’y remettre, c’était la catastrophe. Réflexions de Jean-François Gomez et Thierry Goguel d’Allondans sur Sancho Pança qui est le double de Don Quichotte)

J. O : C’est Le vécu de la Fin du Monde. Mais ça va réapparaître. C’est un texte remarquable. [À son petit fils :] Tu as pris des photos ?

Adrien Berthet : Oui, j’en ai pris au début. Après j’ai arrêté parce que je voulais écouter. Mais il y en a au moins quatre ou cinq qui sont bien.

J. O : Il vous envoie, ses photos. Moi je suis très copain avec Fernando Vicente qui est espagnol. Il a travaillé avec Tosquelles à Longueil-Aunel. On a fait une interview et l’on a parlé comme ça pour comprendre quelque chose de La Borde. Mais pour comprendre La Borde, il faut comprendre ce qu’il y avait avant. Il faut comprendre La Chesnaie. Il faut comprendre Saumery. Il faut comprendre un tas d’histoires. Et alors, en lisant ça, c’était illisible ! Je l’ai donné à lire à un copain qui a mis ça au fond d’un tiroir avec une clé et tu perds la clé. Là ça va, c’est publiable…

02/02/2013


Tentative de transmission
dans un Institut de Formation (29 11 2008): interview de Jean François Gomez par un groupe d’éducateurs en formation


Le texte qui va suivre a pour origine une intervention improvisée à l’institut de formation de travailleurs sociaux de Tours lors d’un moment exceptionnel. Il s’agissait d’une rencontre inaugurale avec une promotion d’éducateurs spécialisés dont j’allais être le parrain. Après une communication qui occupa la matinée – le titre en était : « Etre éducateur » – et qui fut suivie de questions d’abord orales auxquelles je répondis le mieux que je pus, les étudiants me présentèrent une série d’autres questions écrites, plus fouillées, auxquelles je réagis quelques jours après.

Au cours de mon intervention (improvisée et que je suis pas sûr d’avoir très bien réussie), j’ai insisté sur la dimension tragique du travail éducatif, évitant d’en donner un modèle trop lisse. Ce qui ajoutât à une certaine perplexité fut mon insistance à parler de la difficulté à exercer le métier qu’ils avaient choisi, les embûches dans lesquelles on pouvait tomber, prenant quelques exemples dans mon propre parcours. J’évoquais mon engagement auprès de personnes handicapées adultes, la question institutionnelle, le problème des référentiels auxquels j’opposais la méthode des récits de vie. J’insistais aussi sur l’éthique, une éthique de l’engagement et de la responsabilité qui contrastait avec un discours de « prise de distance »dont j’évoquais les dangers. Le texte qui suit est la suite de ce travail. Pris sur le vif on verra un exemple de transmission avec des jeunes éducateurs en formation qui entrent aujourd’hui dans un métier profondément modifié. J’offre ce texte à mes filleuls et filleules de la promotion 2008-2011 de l’ITS de Tours.


Questions des étudiants:

Quelles furent les motivations à vous orienter vers la profession d’éducateur spécialisé ?

Ai-je vraiment choisi ou n’est ce pas plutôt cette profession qui m’a choisi ? Je me souviens d’un de nos « chefs », lorsque je pratiquais le scoutisme, qui, après quelques hésitations dans ses études, avait choisi de rentrer dans une école d’éducateur à Montpellier, dans ce qu’on appelait alors l’institut de psychopédagogie médico sociale dirigé par un des personnages marquant de la profession, le docteur Laffon. Nous admirions cette démarche qui nous paraissait généreuse et courageuse et qui n’était pas dénuée de romantisme. Pour nous le métier d’éducateur ne pouvait concerner que les blousons noirs, ou les enfants délinquants en perdition. Plus tard, quelqu’un de ma famille, un Lyonnais, a pris cette orientation, qui, là encore, bénéficiait d’un certain prestige. On en parlait avec fierté. Pendant tout ce temps, et sans vraiment avoir une vue claire de l’avenir, je vivais l’expérience du scoutisme, puis un certain temps, de la Route, un scoutisme destiné aux jeunes gens les plus âgés, qui combinait un certain esprit d’aventure lié à un esprit de service. Ces mouvements de jeunesse qui m’ont en partie formés étaient attaché à un sentiment communautaire très fort, qui ne me semble guère exister aujourd’hui. Ce mouvement était sans aucun doute lié au personnalisme de Mounier, et marqué par le christianisme de Baden Powell. Mon évolution depuis s’est bien éloignée de ces origines, et dirigée plutôt vers une laïcité ouverte.

A cette époque, ils avaient une certaine importance(quand je pense que les célèbres éditions du Seuil on été créées par ce mouvement des Routiers !)[1].C’est finalement après un échec à la seconde partie du bac échec qui m’a d’ailleurs complètement sonné, pourtant avec des notes excellentes en philosophie et en lettres, mais insuffisantes dans les autres, et donc assez inattendu, que je me suis tourné vers des opportunités qui se sont produites et que j’ai trouvé par hasard le premier établissement où j’ai travaillé, un orphelinat de Dordogne. Je décris cet établissement dans Un éducateur dans les murs[2]. Là, sans formation et entouré de gens qui ne savaient pas, j’ai rencontré la condition de certains enfants, qui m’a touché. J’ai vu très vite aussi que, contrairement à ce qu’on disait autour de moi, ce que je faisais était un métier et qui s’apprenait. Après un an de travail dans cet établissement, donc, dans des conditions assez catastrophiques, j’ai commencé à m’engager dans un processus de formation qu’on ne me demandait pas. Cela m’a conduit, après plusieurs tâtonnement vers un autre établissement, plus formateur et mieux géré où j’ai pu être conseillé par des éducateurs aînés qui ont commencé à me guider et m’aider. Cela a abouti à mon passage par la sélection de l’école de Saint-Simon, à Toulouse.

Vous nous avez expliqués pourquoi vous aviez choisi d’écrire, cependant, que retirez-vous de votre parcours d’auteur ?

Le fait d’écrire, puis de publier, en dehors du fait qu’il m’a fait travailler ma vision du monde, m’a permis de faire des rencontres exceptionnelles et de les cultiver. Cela dit, il se peut bien que je n’aie pas tout à fait choisi l’écriture, mais qu’en un certain sens l’écriture m’ait choisi. J’ajouterai que très vite j’ai nourri l’idée qu’il était indispensable de faire connaître la beauté et la profondeur de ce métier et les rencontres qu’il permet au plus grand nombre. Je ne suis pas sûr d'y être parvenu.

Avant même de m’engager dans ce métier j’avais publié quelques textes dans des revues. Elevé dans un milieu modeste où il n’y avait pas de livres, ou si peu, hors nos livres de classe, l’instruction y était pourtant considérée comme chose essentielle. Mes parents qui n’avaient pas eu chance de faire des études(et qui auraient aimé en faire)ont souhaité pousser leurs trois enfants vers des études secondaires classiques et j’ai toujours mis la littérature très haut, la considérant comme outil de liberté.

Là se trouvent décrits quelques éléments du contexte. Pour le reste, je dirai que j’ai utilisé l’écriture dans la pratique de mon métier, comme un moyen de donner du sens, d’exprimer les émotions et les affects que j’y ai ressenti, les engagements qui ont été les miens. Comme un exutoire ou peut être une planche de salut : pouvoir dire ses émotions, ne pas en être débordé, mettre en ordre et en forme l’insaisissable.

Cette pulsion vers l’écriture, par ailleurs, a été aidé par la rencontre avec des personnages comme le docteur François Tosquelles, un psychiatre qui avait fait la guerre d’Espagne dans le camp républicain, et Fernand Deligny. Tous deux écrivains hors pair. Mon premier psychanalyste de ma période parisienne fut Gérard Mendel, dont l’œuvre scientifique est importante, et qui, avant d’être médecin, psychanalyste et sociologue, fut… romancier, ce que j’ai su bien après nos premières rencontres. Les processus de création l'importaient, et il fut l'introducteur de la pensée de Winnicott en France.


Que pouvons nous vous apporter ?

Je ne sais pas encore. Je vis cette expérience comme une découverte, et je sais que seul, le premier acte s’est passé. J’ai déjà dit que j’ai répondu sans trop hésiter à l’appel, parce qu’il me semblait qu’il était nécessaire de le faire.

Je sais déjà que vos questions, vos difficultés ne ressembleront pas toujours à celles que j’ai eues à votre age, ni celles que j’ai constatées quand j’ai travaillé. Vous m’aiderez peut être à comprendre ce temps, et donc à vieillir moins vite.

Mais peut être, m'aiderez-vous, au delà des soubresauts qui ne cessent d’agiter le secteur, à défendre une certaine conception du métier qui est la mienne.

A moins que j’aide certains d’entre vous à franchir certains seuils.

Quels sont vos meilleurs souvenirs ou moments dans ce métier ?

Je ne me suis jamais ennuyé et mon métier m’a toujours passionné jusque dans ses difficultés, donc, des souvenirs, il y a en a beaucoup. Devant une question pareille, je pense surtout à de visages, des visages d’enfants et d’adultes dont je me suis occupé, et je me dis : « Que sont ils devenus ? ». Il y a des visages qui sont des bons souvenirs, plus que d’autres, comme cet adolescent dont je m’étais occupé autrefois, en Dordogne, que je n’avais pas revu depuis six ans et qui a su que je revenais par hasard dans son centre. Je ne venais pas pour lui, mais il est venu me retrouver au prix d’une organisation incroyable et comme je suis resté le soir dans l’établissement avec d’anciens amis, y passant la nuit, il a tenu à me raconter la part de sa vie que je ne connaissais pas. Cela a duré un morceau de la nuit, ses rencontres, ses amours, son travail, toute sa vie qui défilait. J’étais à la fois épuisé et heureux, car je n’aurais pas cru qu’il réussirait un jour sa vie. Il me disait sa réussite, en quelque sorte il me l’offrait.

Dernièrement encore, j’ai eu au téléphone, presque par hasard quelqu’un que j’ai aidé par des entretiens une ou deux fois tout au plus, dans sa jeunesse. Je croyais qu’il m’avait oublié. Il est marié, il a des enfants, il a pleinement réussi et mieux que bien d’autres, et s’est adressé à moi d’égal à égal me disant avec humour : « Tu vois, je n’ai plus besoin de toi ! ».J’ai beaucoup aimé ce mot qui m’a ravi.

Dans mon livre L’éducation spécialisée un chemin de vie[3] je raconte mon départ à la retraite, qui ne fut pas la fin de mes activités, loin de là, mais qui fut un moment extraordinaire, un moment où la joie et la tristesse étaient mêlées. La cérémonie où trois cent personnes étaient présentes, où des larmes ont coulé, fut précédée d’un des moments le plus extraordinaire de ma carrière où nous avons chanté avec les résidents et les éducateurs presque toute une nuit. C’est pour moi le souvenir d’un moment exceptionnel, et je suis content d’avoir mis à ma carrière de directeur une telle conclusion…qui ne fut d’ailleurs qu’un point de suspension, puisque j’ai encore beaucoup d’activités !

Cela étant, j’ai toujours travaillé en équipe, j’ai aimé le travail d’équipe, en tant qu’éducateur mais aussi en tant que directeur, et je ne pourrai décrire les moments de joie et de partage qui ont toujours eu une place essentielle. Mais c’est vrai qu’en tant qu’auteur et dans mes récits, j’ai souvent évoqué les moments difficiles ou dramatiques…il est vrai, avec le soucis permanent de proposer des outils pour en sortir.

Questions sur la conférence:

Est-il possible de se raconter, de raconter ses pratiques professionnelles en échangeant ou en partageant à l’aide de moyens concrets ? Si oui, quels sont ces moyens ?

Lors de mes premiers début dans ce métier, les éducateurs se racontaient beaucoup lors de rencontres fréquentes(le café, le « cinquième repas » en internat lorsque les enfants étaient couchés). Cela se faisait naturellement, il fallait se décharger de la journée et de ses stress, mettre en commun ses questions du jour. Il est vrai que nous étions habitués à travailler dans une certaine solitude. De plus le principe de réunions très structuré était loin d’être acquis partout.


Aujourd’hui, les choses se présentent très différemment, ne serait ce que par ce que le temps consacré par les éducateurs à l’institution est plus court, par ce qu’on ne fait guère appel à eux pour faire les nuits, ce qui change beaucoup de choses. Nous passions vraiment beaucoup de temps sur le terrain et, comme ce pouvait être très dur, que le principe de pluridisciplinarité n’existait pas ou si peu, que les spécialistes, médecins, psychologues et autres étaient rarissimes, il fallait bien se débrouiller.

Du coup,on risque de perdre l’intérêt du récit et prétendre à une attitude technique ou professionnelle sans être passé par celui-ci.

Or, avant de prétendre analyser une situation, il faut la laisser se dérouler le plus complètement possible, avec beaucoup de respect et d’humilité, car la réalité nous en apprend beaucoup plus que tous les livres. Ce n’est que dans un deuxième temps que l’on peut s’attaquer à la structure de la dite situation, en comprendre les séquences, voire émettre des hypothèses ou des interprétations.

Mais le fait de laisser la place au « temps du récit » suppose, dans un établissement, un certain nombre de conditions qui ne sont pas toutes dépendantes au temps objectif qu’on se donne ou qui est à disposition. Il suppose un ambiance de respect mutuel, une volonté commune d’accepter que l’autre se dise, y compris dans sa part « affectée », car un récit c’est une tentative toujours plus ou moins manquée de « dire le réel d’une situation »et l’on ne peut que s’en approcher.


Qu’entendez vous par « vocation » ?

Je l’entends sûrement dans une perspective plus philosophique et même psychanalytique que dans son sens judéo-chrétien qui fait survenir, dans l’imaginaire une flopée de bonnes sœurs et de bonnes âmes prêtes à tout pour gagner le ciel. La vocation, a quelque chose à voir avec le désir, mot qui, lui-même risque d’être entaché d’ambiguïté. Pour moi, il y a dans ces mots (vocation, désir) avant tout une charge éthique. Il faut être appelé. Comme l’explique le philosophe Levinas, être interpellé par le visage d’autrui, plutôt que de vouloir convertir à ses propres idées, sa propre représentation du monde. Dans ce sens, la vocation est peut être le contraire de la colonisation de l’autre. Quand on n’est pas appelé par l’autre, quand on n’a pas besoin de le voir ni de l’entendre, il reste à lui vendre ce que le pédagogue Fernand Deligny désignait comme « l’eau bénite croupie »[4].

Tout un courant développe ces questions même s’il l’exprime différemment de moi. Le docteur Jean Oury, à propos des malades mentaux dit quelque part que « les infirmiers qui n’ont rien à apprendre des malades n’ont plus qu’à changer de métier »[5].Parler de vocation, c’est parler de la voix, mais c’est aussi de l’altérité, parler de l’autre. L’éducation spécialisée, c’est avant tout la question de l’autre. Rien n’est plus à corriger, chez un éducateur (ou chez un futur éducateur), que la « suffisance » : n’avoir besoin de personne, fonctionner dans une sorte d’économie personnelle, sans accepter de se frotter ou de se cogner avec l’étrangeté, y compris celle qui est en nous, sans risque et sans générosité.


Pourquoi est-il « subversif », d’après vous, de s’occuper de l’Homme ?

Parce que pour trouver l’homme, il faut toujours creuser, il faut toujours aller chercher la « version du dessous » plutôt que la version officielle, et l’on trouve l’origine du mot « sub-version ».

Naturellement, les institutions, et même celles qui ont pour mission de s’occuper de la misère humaine, n’aiment pas trop ça. Elles préfèrent proposer du prêt à penser; elles considèrent que c’est plus simple pour tout le monde.

Toutes les institutions humaines, de tous temps n’ont avancé que parce que quelques uns sont allés chercher plus loin une idée (un objet, une technique) et ne se sont pas contentés de l’habitude. Cela commence avec La Guerre du feu[6], et les quelques-uns uns, qui, comme dans le film, au lieu de se geler en se collant les uns aux autres, vont chercher le feu et le ramènent…en en faisant un beau récit.

Pourquoi sommes-nous confrontés de plus en plus à une confusion des rôles dans le social ?

C’est une question difficile. Après moi, le social, le vrai social, qui prétend à une véritable efficacité et déroule les phénomènes jusqu’à des causes premières, dérange.

Associez la notion de handicap à la pauvreté(comme certains chercheurs l’ont fait) et vous risquez fort de ne pas être entendu ou d’être remis à votre place, d’une manière ou d’une autre. Parlez de ces « pauvres handicapés »et vous trouverez autour de vous tout sourire. C’est que dans la première hypothèse, la question supposerait de visiter l’organisation sociale-toujours le même problème- ou, à tout le moins, de regarder de très prés l’ensemble des questions qui bordent la situation de handicap(le travail,la culture, le chômage, la perte de sens de nos sociétés etc..).

Observez le problème très actuel des sans domicile fixe (SDF),de ceux qu’on appelait les clochards, et les mesures qu’on entend prendre à leur sujet. L’audace des médias n’ira pas jusqu’à questionner véritablement un éducateur et un éducateur compétent pour traiter de ce sujet(et il y en a) ou un professionnel qui a passé toute sa vie à étudier le problème et à agir dans ce sens. On prendra plutôt une association de bénévoles qu’on estimera plus apte à en parler aux citoyens téléspectateurs. Et si l’on prend une association qui emploie des professionnels on appellera le président ou un administrateur bénévole pour en parler. Voilà un premier niveau du phénomène, la dilution entre les bénévoles et les professionnels.

A cela s’ajoute un autre niveau, la dilution (à mon avis voulue) des différentes professions appelées à faire du social. Comme je crois l’avoir dit à ma conférence, il y en a en France une vingtaine. On suppose, dans certains milieux branchés, que les nouveaux métiers, comme on les appelle (parmi lesquels beau­coup de « médiateurs » ceux qui arrondissent les angles) remplaceront avantageusement les métiers qu’on dit « cano­niques », comme éducateurs spécialisé. Et l’on est en train d’ajouter, selon le journal Lien Social de cette semaine, les éducateurs de santé ou quelque chose comme ça, dans les hôpitaux.

Cette confusion généralisée, bien évidemment a des conséquences moins visibles mais très réelles dans les établissements eux-même. Sans trop développer, je dirais que de plus en plus le gestionnaire peut employer un professionnel pour un autre sans que ça se remarque trop, mais que ces attitudes ont des conséquences très sérieuses au niveau de l’éthique, vis à vis des populations et de la façon de les aborder. Cela a aussi des impacts sur la qualité du travail d’équipe et même sur son existence potentielle. Ne fait pas équipe qui veut. Placer un psychologue sur un poste d’éducateur n’est pas sans conséquence (et même si, l’on ne fait jamais le contraire). Encore plus si, sur le même poste, on met un étudiant ou même un « brave homme » ou une « brave femme ».

En quoi est-il nécessaire de distinguer les différents travailleurs sociaux dans l’institution, leur rôle sont souvent si proches ?

A cette confusion des places, il faudrait, me semble-t-il, répondre par une rigueur professionnelle (et rigueur ne signifie pas rigidité). D’autant que nos métiers éducatifs sont en France des métiers qui n’ont quasiment pas de statut. Le diplôme d’état ne clôt pas la question du statut ! Un statut, cela correspondrait à l’empêchement d’exercer cette fonction sans la garantie d’une vraie et solide formation. Cela existe pour les médecins, pour les infirmières, pour les professeurs des écoles, pour les assistantes sociales, etc… etc… mais pas pour les éducateurs spécialisés.


Lorsque je propose de distinguer le travail de l’éducateur spécialisé, du moniteur éducateur et de l’aide médico psychologique (AMP), par exemple, c’est vrai que je renvoie à une question particulièrement délicate qui est dans la question précédente .Si éducateur Spécialisé et AMP c’est pareil, pourquoi n’a-t-on pas pris que des AMP ou des éducateurs spécialisés ? Or, il se trouve que ce n’est pas pareil ni dans les textes, ni dans la paye, mais cela devrait être identique sur le terrain…Tirez en les conclusions et ne devenez pas idiots (idiots au sens étymologique).Il est certain que l’on peut trouver des points communs, dans les pratiques des uns et des autres, mais où sont les différences ?Et c’est vrai qu’il est toujours difficile de travailler sur les différences, les complémentarités que sur la fusion…ou la confusion. Tout cela demande un travail d’élaboration, un travail institutionnel auquel nulle équipe, à mon avis, ne devrait se soustraire.

Mais je conviens volontiers que c’est difficile, et qu’il est des moments, dans une équipe, où il faut oublier cette question, même si on sait qu’elle est fondée.

Quelle est la part de l’éducation spécialisée (ou des éducateurs spécialisés) dans la dévalorisation (disqualification et déqualifi­cation) du métier ?Peut- on trouver un lien avec l’histoire du métier ?

Encore une question délicate et il faut s’y atteler. Je vais peut être en parler dans les trois articles que je dois remettre pour le 31 décembre pour un dictionnaire de l’adolescence, sur l’histoire de l’éducation spécia­lisée[7]. Je crois qu’elle renvoie aux évolutions d’une société qui n’est plus la société d’après guerre et des ordonnances de 1945,qui avait décidé d’un seul élan de s’occuper de sa jeunesse, mais aussi de l’évolution de l’intrusion actuelle de la société néolibérale qui s’est mis à s’intéresser aux secteurs de la folie et de l’éducation spécialisée. Aujourd’hui notre secteur n’est pas, même s’il l’a cru un temps, protégé de tout. Etre en éducation spécialisée ce n’est plus être dans une bulle éthique depuis laquelle on défendrait, dans un splendide isolement, de supposées bonnes pratiques, voire des actions héroïques et exemplaires. Une part du secteur handicap peu valorisé (les foyers d’adultes handicapés par exemple) est en train de se vendre à des sociétés et pour les maisons de retraites, le secteur privé est déjà très actif. Quand à la psychiatrie il y a longtemps qu’elle intéresse ces mêmes sociétés privées et même les multinationales. Les modèles d’évaluation qui nous sont proposé ou imposés viennent du secteur marchand et ont été déjà exploré à l’hôpital ou en clinique. Il y a, bien sûr, un lien avec l’histoire du métier, mais je crains de manquer de temps. Cela supposerait un exposé plus systématique…et il faut que je me mette à mes articles !


Pourquoi et en quoi l’éducateur spécialisé doit se mêler de ce qui ne le regarde pas ?

Cette expression est faite pour frapper les esprit. Elle fait apparaître brusquement que ce qui est important n’est pas forcément l’évidence. Qu’il faut donner une importance aux questions et domaines non explorés, plus qu’aux réponses. Plus encore elle insiste sur le regard oblique ou en biais. Sans ce regard oblique, sans cette visée qui se décale du chemin tracé, l’éducateur reste sur son groupe (ou dans son domaine particulier ou sa référence)où il fait son nid et oublie les réponses qui ne passent pas par sa personne :la pluridisciplinarité, la dimension clinique ou psychothérapique, les incidences extérieures, le politique, le collègue d’à côté, la tâche de l’économe ou du cuisinier, le voisinage etc… etc…

Il y a encore dans cette expression une ouverture sur ce que l’on appelle, en psychothérapie institutionnelle (une méthode de travail qui insiste sur le travail d’équipe et la responsabilité des acteurs) la « triangulation » : tout ce qui répond au danger du face à face, du duo ou du tête à tête exclusif, de l’accrochage affectif, de l’appropriation de l’autre. C’est dans ce sens qu’il faut apprendre ce regard de côté qui permet de savoir qu’on n’est jamais vraiment seul quand on est avec l’autre.

Comment découvrir d’autres méthodes de penser l’éducation spécialisée ?Par des rencontres ?Des voyages ?

Dans la première partie de ma vie, j’ai beaucoup bougé, j’ai vu beaucoup de choses. Provincial, j’ai tenu à travailler à Paris dans un des meilleurs établissements de l’époque ou l’on commençait à utiliser la psychothérapie et la psychanalyse pour des enfants difficiles, le centre d’ observation (CO) de Vitry) j’ai rencontré des acteurs exceptionnels, j’ai fait des voyages d’études (jusqu’en URSS sur les traces de l’auteur Anton Makarenko[8]) et je le regrette pas.

Je pense que les voyages sont un moyen de s’arracher à ses habitudes et notamment les plus dures, les habitudes de pensées. Pourtant, si j’étais un jeune éducateur aujourd’hui, je voyagerais encore plus, et plus loin, car notre monde est époustouflant de complexité.

Cependant je repense encore à François Tosquelles, que j'ai entendu dire qu’il faut « ouvrir l’ Hôpital psychiatrique, mais vers l’intérieur ». Il en est de même des voyages. Certains voyages immobiles valent au moins autant que des voyages à l’autre bout du monde. Peut être faut-il voyager mais en allant chercher l’étrange et l’étranger qui est toujours à deux pas de soi ou sous ses pieds.

Ainsi de l’institution. Dans l’institution, il est assez classique de penser, quand on parle des usagers, que "les faire sortir" peut présenter, en soi même, des effets thérapeutiques. Mais ce n'est pas n’est pas si sûr, ça ne marche pas à tous les coups. L’extérieur n’est jamais, en soi, formateur ou psycho­thérapique.

Quelle relation peut on distinguer entre le poétique et le politique et l’éducation spécialisée ?

C’est la question qui me travaille depuis toujours et que je ne suis pas sûr d’avoir élaboré ou montré comme je l’aurais voulu. Cette question est à l’origine de ma vision de l’éducateur et elle se trouve en filigrane dans à peu prés tous mes écrits. Peut être mon petit livre D’ailleurs…l’institution dans tous ses états [9] en montre quelque chose. Mais aussi le dernier chapitre de mon livre « Le travail social à l’épreuve du handicap [10]» intitulé L’acte éducatif et social revisité ou la posture insaisissable ou je parle de l’éducateur et du cœur de son travail, de sa part inexplicable, et ou pour cela, je cite des poètes.



Quelle différence peut-on faire entre l’éthique et le professionnalisme ?


Dans le professionnalisme, comme dans la déontologie (qui est une morale de métier) j’agis, que je le veuille ou non, à partir des institutions qui reconnaissent mon acte, qui le couvrent et même qui l’engagent à ma place. Je suis relativement protégé par les éléments de mon statut ou ce qu’on peut en retenir (l’éducateur, disais-je, n’a pas de statut au plan strictement juridique, mais on lui suppose un savoir ou un savoir-faire qui le légitime à cette place, donc ce sont tout de même des éléments statutaires) et je dois en tenir compte. De plus, il a un contrat de travail qui le lie ainsi que des obligations qui résultent d’un projet d’établissement, d’une convention collective (par exemple en matière de secret professionnel), de la Loi 2002, de l’association où il travaille etc. etc.

Comme Annah Arendt l’a montré à partir du célèbre procès de Jérusalem[11], Eichmann était parfait au niveau professionnel, puisqu’il obéissait aux ordres et n’y voyait d’ailleurs aucune malice si ce n’est les rares cas où il a été confronté, avec un certain dégoût et contrariété, aux conséquences de ses ordres, notamment quand il eut à visiter, je crois, des camps d'extermination.

Mais le niveau éthique est très différent. Lorsqu’il s’agit de se confronter à l’éthique, on est seul avec sa conscience. Il ne s’agit pas de se cacher derrière une décision institutionnelle ou un cadre réglementaire. En tous les cas pas seulement. L’éthique suppose non pas d’obéir mais de penser son acte. Et notre monde moderne secrète plus de l’obéissance que de la pensée.

Les choses se corsent quand on ajoute que l’éthique peut suggérer des choses différentes de ce que suggère le professionnalisme. J’appelle cela le syndrome de Douze hommes en colères[12], un film qui fut classé au dixième rang parmi les films de toute l’histoire du cinéma, vieux film de Sydney Lumet, avec Henri Fonda que vous avez sûrement vu. Il a plusieurs version dont l’une théâtrale : Douze jurés sont enfermés dans une même pièce pour juger la culpabilité d’un assassin qui sont tous convaincus de cette culpabilité mais qui voudraient en finir le plus vite possible. Malheureusement, ou plutôt heureusement, il y a un juré qui n’y croit pas et qui le dit. Mais au lieu de se rétracter devant le jugement des autres, il tient sa position et c’est le contraire qui se passe. Chacun fléchit tout à tour devant la pauvreté de ses arguments et ses mauvaises raisons(« on a autre chose à faire que de passer des heures en réunion »dit l’un d’entre eux) et l’on constate que celui qui était seul avait sans doute raison. A la fin, celui qui a fait basculer tour à tour la décision des onze jurés part seul, mais il a sa conscience pour lui :c’est lui le plus grand. C’est chez lui que s’est trouvée l’éthique, à l’état pur. Il a sauvé un homme dont on ne saura même pas s’il est innocent ou coupable mais qui devait profiter de sérieux doutes.

Comme je n’ai cessé de le dire et l’écrire, éducateur est un métier essentiellement éthique, car dans beaucoup de situations, quoi qu’on dise, les plus délicates mais aussi les plus importantes, et cela malgré l’équipe, malgré les réunions etc.. vous vous trouverez seul(e)s. De plus c’est un métier où l’on doit beaucoup travailler avec sa personne et ses convictions.

Peut-on, en tant que jeune éducateur spécialisé, avoir une parole contestataire ?

Il ne s’agit pas d’avoir une parole contestataire, mais d’avoir une parole vraie. Avoir une parole vraie, c’est le contraire de la parlote et du bavardage. C’est savoir que ce qu’on dit à l’autre engage et a des conséquences. Et aussi ce qu’on ne dit pas quand on n’est pas d’accord. Tout cela ça s’apprend et même cela se muscle.

Question d’autant plus importante qu’il vous arrivera d’accom­pagner des usagers qui n’ont plus ou pas la parole, qui ont des difficultés avec la parole, la prise de parole ou à qui on a pris la parole ou le désir de parler. Votre position au côté du résidant ou de l’usager, enfant ou adulte, sera donc de vous poser comme un être parlant-ce qui est la moindre des choses- mais qui devra quelquefois en quelque sorte parler pour deux.

C’est la raison pour laquelle le « On » est l’ennemi de l’institution et du travail d’équipe. Le « Nous » est préférable qui se présente comme une articulation sensible entre les différents « Je ». A mon avis, dans une équipe, il ne faut jamais dire On mais toujours Nous ou Je , et que ce Je ou ce Nous soit étayé par un travail.

Quant au fait d’être jeune éducateur, il ne faut pas que ce soit une tare. « La valeur n’attend pas le nombre des années » a dit quelqu’un, et il avait raison. Et tel vieil éducateur qui est très savant qui a tout vu et qui parle bien peut avoir besoin de cours particuliers ou de rattrapage dans le domaine de l’éthique. Car devant celle ci, tous les hommes sont égaux, et comme dans le conte Du danois Andersen Les habits de l’empereur, il arrive que seul l’enfant dise que le roi est nu.

Cela dit, ne faites pas comme certains qui confondent la parole vraie avec la parole brute voire brutale et qui croient que le désordre ou l’agitation est par essence révolutionnaire. Ce qui est peut être révolutionnaire aujourd’hui, c’est de bien faire son métier. Et donc, il faut l’apprendre.

Le 29 novembre 2008.


[2] Jf Gomez[1978] 2004.
[3] JFgomez, 2007.
[4] Fernand Deligny, Interview n°39 de Partisans, 1967
[5] Jean OURY, A Quelle heure passe le train, conversation avec Marie Depussé, Conversations sur la folie, Calmann-Levy, 2003.
[6] La Guerre du feu[6], film de Jean-Jacques Annaud avec Everett McGill, Ron Perlman. Une expédition pour trouver du feu à l'âge de pierre, 1981.
[7] JF Gomez, articles : Education spécialisée, Histoire de l’éducation spécialisée, handicap mental in D.LeBreton et MARCELLI, (sous la dir.) 2010.
[8] Makarenko, 1967.
[9] JF.Gomez, 1996
[10] JF Gomez,, 2007
[11] H.Arendt, 1991.
[12] Douze hommes en colère 1957.



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