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Recensions

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Patrick Macquaire, Le Monde selon Isidore, la poétique urbaine du balayeur, éditions HD diffusion, 202 pages, 2021.

 

 

Patrick Macquaire  nous donne  ici à lire un conte édifiant dans lequel la question du politique et de l’esthétique font bon ménage. Une histoire vraie qui l’habite au point  d’avoir déjà écrit un récit sur la même question[1]. Mais là, il s’agit d’autre chose. Une multitude de personnages s’agitent dans l’histoire d’un quartier : Jean l’ancien éboueur les jambes happées par une benne à ordure, Cheikh, le premier encadrant de la Régie[2], José, le premier plasticien, le vieil homme plein de bons conseils, les éducateurs de rue désemparés par la vie du quartier qui tourne mal, les petits dealers, les instituteurs, un groupe d’enfant, lui-même au cœur de la tourmente. Sans oublier le dénommé Raymond Isidore le anti héros. Personnage qui va nous donner une leçon de mosaïque et par làune leçon de vie.

Tout cela entrecoupé de réflexions anthropologiques et sociales  qui donnent un porte-voix à cette expérience, la prolonge et d’une certaine façon l’explique avec des auteurs comme le sociologue Edgard Morin, l’anthropologue Saül Alinsky,l’éducateur Fernand Deligny, le psychanalyste Paul Fuks. Sans compter quelques mosaïstes distingués : Paolo Racani et quelques autres.

Pris dans la complexité et les complications de ce quartier difficile, l’auteur qui a plus d’un tour dans son sac – il est éducateur spécialisé mais bien plus que cela, ethnologue : il fera l’école buissonnière, après un DEA passé à l’ÉHESS plutôt que de soutenir une thèse de doctorat-découvre au moment même où ses forces lui manquent pour aller au bout de sa tâche l’existence de celui qu’on nomme Pique-assiette, le balayeur du cimetière et ses allées et venues étranges. Il fallait les yeux d’un poète pour  aller à la rencontre de cet homme et de son destin : balayeur du cimetière, on voit Isidore passer avec sa brouette et ramasser les bouts de vaisselles, les plats cassés, tous ces déchets qui hantent la ville. Il a décidé de recouvrir de mosaïques tous les murs de son humble maison et donne tout son temps à cette tâche. Rien ne semble l’arrêter, et surtout pas les rires ou les quolibets. Présent à la salle des ventes où on lui abandonne la vaisselle brisée, les restes et les déchets dont personne ne veut, dans les allées de la vieille ville et sur les chemins du cimetière, Pique-assiette avance vers son art, sa vie, son destin. Humble artisan,il dit qu’il veut faire dans cette ville de Chartres dominée par la cathédrale « blanche sous son toit de cuivre vert » décrite par Macquaire, une cathédrale des pauvres. Si on lui pose une question sur sa curieuse vocation, il répond : « J’étais aveugle, quand j’étais enfant. C’est dans la cathédrale que j’ai vu pour la première fois ».

 Isidore, nous dit l’auteur, avec sa lenteur, son obstination, « n’a jamais cessé de regarder le monde avec les yeux des enfants ».Et dans son dénuement il scrute toutes choses avec lucidité.« On jette les choses et les gens »dit-il. Puis : «  Je pense trop. Je pense la nuit aux autres qui sont malheureux  Cela m’empêche quelquefois d’être heureux […] Je voudrais être un exemple. Nous sommes dans un siècle pas bien, il faut revenir aux sources.»

Et c’est justement le regard des enfants sur Raymond Isidore qui va faire réfléchir l’auteur dans les pires moments, alors que le quartier devient une sorte de nef des fous, sans capitaine et sans barreur. Et si Pique-assiette avec ses mosaïques était un modèle, une référence, se dit-il en observant leurs dessins? Si cet homme étrange pouvait proposer une exemplarité pour toute cette population trop souvent démunie? Si celle-ci, contre toute attente, était prête à s’identifier non aux images lointaines et figées apprises en classe, mais à l’humble balayeur qui, pour les gens de la vraie ville, la ville bourgeoise, n’est qu’un original, un demi fou qui compte si peu ?

L’auteur s’évertue après son mentor - qu’il appelle de façon amusante son « directeur de recherche »-à montrer que la mosaïque ne peut être cantonnée à une pratique décorative, ni à un loisir créatif. On trouvera ici comment à l’instar de Paolo Racagni, il pense qu’en mosaïque, la restauration est affaire de recherche, de composition, de mémoire et qu’il y a là une pensée inscrite dans l’histoire et ouverte à l’avenir. Une forme d’archéologie du savoir dirait Michel Foucault, une pensée qui réhabilite l’homme, anthropologie active,[3]due à un simple balayeur qui refuse la confiscation de sa vie. Pique-assiette, un homme de peu, un homme de trop, un Picasso de l’assiette, pris entre folie et dérision.

 Patrick Macquaire évoque encore le tisser ensemble d’Edgar Morin, cettere cherche de l’émergence, où le dépassement de la simple addition des éléments-les tesselles-permet l’accès à l’équilibre et à l’harmonie. « La mosaïque fournit des données minimales sur les objets et exige donc une très grande participation du spectateur, lequel doit compléter ce qui n’est que suggéré par la trame des tesselles. C’est lui qui intervient pour clore le tout, pour réunir les espaces, les intervalles et interstices séparant les tesselles, qui elles ont été conçues (et placées) pour être espacées, disjointes, discontinues » dira Paolo Racagni[4].

L’auteur ajoute, citant le sociologue de la complexité, qu’on est à l’intérieur constamment en dialogue avec l’extérieur ou pour reprendre encore Racagni dans une conférence des premières Rencontres[5], c’est l’œil extérieur qui donne forme à des détails que le geste du mosaïste a voulu discrets.

Pour Patrick Macquaire, la mosaïque, plus qu’une pratique artistique, est un chemin, une philosophie, une pensée. Il insiste ici sur la dimension métaphorique qui lui permet de dire après Morin qu’elle est une image de la complexité, une porte ouverte sur le réel, une phénoménologie. 

Sans elle, sans la tentative d’un artiste singulier, Raymond Isidore, dont il célèbre constamment la pensée, sans l’exemple de créateurs de renom comme les mosaïstes de Ravenne, il n’aurait pas été possible nous dit-il, de faire face à l’étrange situation d’un quartier ghetto construit derrière le cimetière municipal, pas davantage de trouver le langage qui a permis sa reconstruction, en même temps que la création d’un centre social et d’une régie, ou encore des Rencontres Internationales, source en France d’une émulation artistique unique. Patrick Macquaire nous raconte l’histoire de refus politiques et technocratiques, d’oppositions mesquines, de silences et de petites lâchetés, une banalité du mal, dit-il, dont la mosaïque est venue à bout en un temps où les éducateurs sont chassés comme des sorcières. On verra qu’il cite Muhammad Yunus[6] : « Il faut libérer la créativité pour triompher de la pauvreté » et qu’il pourfend les artisans de la servitude volontaire qui toujours savonnent la planche.

Sa vie durant, Patrick Macquaire aura lutté contre ce qu’il appelle les disciples de Procuste, ceux qui, avec leur maître, ce bandit de l’Attique, couchaient les hommes dans un lit de contention, un calibre où les grands sont raccourcis, les petits allongés : un monde qui n’est pas celui de la mosaïque, encore moins celui de la diversité, mais bien plutôt celui du carrelage et de la comptabilité, des process et du contrôle, de la suspicion et du mépris dont Axel Honneth, qu’il cite, nous dit qu’ils sont devenus, à défaut de pensée, les instruments privilégiés de notre époque.

« Donnez-moi une ou deux tesselles et je soulèverai le monde ! » semble dire l’auteur de ce livre passionnant. À l’exemple de l’œuvre toute entière de Fernand Deligny anti éducateur, travailleur social atypique et libertaire, c’est le poétique qui sauve le monde, l’esthétique donnant quelquefois l’accès au politique dans un  second temps. Car au commencement, il ya l’art.« Toute œuvre d’art est une percée, écrit Deligny, une trouvaille, et on connaît comment les excès du politique peuvent évacuer l’art de l’œuvre. »(Le Croire et le craindre,1978). C’est dire qu’à travers la mosaïque, l’auteur dont le savoir est grand,touche au plus vif de la question sociale. En homme simple,il sourit de cette situation où un  humble personnage nous montre comment la pratique de la mosaïque peut se muer en leçon de vie.

Jean-François GOMEZ

Dernier livre paru,

L’éducateur et son gai savoir, éloge des transparents, l’Harmattan, Paris, 2019

 

A paraître :

Délivrez nous du management, Libre & Solidaire, Paris, 2022.



[1] Patrick Macquaire, Un essai de transformation sociale, Le quartier Pique-assiette à Chartres, Préface de Pascal Le Rest, L’Harmattan, [2008] 2018.Il quartiere Picassiette, Girasole, traduction abondée, Ravenne 2017.

[2]Les lecteurs de Mosaïque-Magazine connaissent « Les Rencontres Internationales de Mosaïque » et les expositions régulières de la chapelle St Eman, dont il est avec les habitants le créateur, mais aussi l’entreprise associative qui les porte et qu’il adirigée, 25 ans durant : la Régie des 3R, (Rénover, Restaurer, Réhabiliter) mais sans doute connaissent-ils  moins la philosophie qui la sous-tend.

 

[3] Dans son avant-propos, il se souvient de son terrain sur l’île d’Hoëdic où la tentation de restaurer, s’oppose à la classique réserve et à la distanciation attendue de l’ethnologue. Son livre : Hoëdic, une île entre rumeur et naufrage,a reçu leprix du livre insulaire d’Ouessant, Petra, Paris 2013.

[4]Paolo Racagni, professeur à l’institut Severini de Ravenne, directeur et restaurateur des fouilles de Damas, collègue de Marco De Luca, de Giovanna Galli, de Verdiano Marzi, de Felice Nittolo, qui soutiendront activement la démarche à Chartres de Patrick Macquaire.

[5]Rencontres Internationales de Mosaïque, Chartres, année1996.Les rêveurs de mosaïque, éditions 3R, Chartres 1997.

[6]Muhammad Yunus (1940-), Prix Nobel d’économie 2006, économiste et entrepreneur bangladais, surnommé le « banquier des pauvres ». 



Recensions de livres de Jean-François GOMEZ par différents auteurs (presse, revues et blogs)

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Recensions de livres par Jean-François GOMEZ

  • Raymond Benevent, Claude Mouchet, l’Ecole, le désir et la loi, Fernand Oury et la pédagogie institutionnelle, Matrice, Champ social, Nîmes, 2014, 493 p. et illustrations, 35 €. (C & S)

Au début de l’ouvrage, on peut lire une épigraphe d’un inspecteur de l’éducation nationale déclarant que la pédagogie institutionnelle « n’est plus de ce temps, qu’il s’agit d’une horloge arrêtée ».Tout l’ouvrage s’emploie à montrer combien ce mouvement, au contraire, reste encore actuel de par les réponses qu’il donne aux enseignants dans leur classe, combien est sotte et peu réfléchie cette réflexion à l’emporte pièce. Loin d’être une sorte de livre hagiographique concernant Fernand Oury, -ce qui aurait pu être un écueil - l’ouvrage prend le temps d’expliquer les origines ouvrières de Fernand Oury et de son frère Jean, montre comment Fernand, à travers une crise existentielle et professionnelle, choisit de « changer son métier plutôt que de changer de métier ».

Est particulièrement bien traitée la scission d’avec le mouvement Freinet en 1961 et la création du Groupe des Techniques Educatives qui lui succéda, tentant d’apporter une dimension clinique au mouvement. On voit comment cette nouvelle organisation fut l’objet à son tour de scissions à travers sa confrontation avec le courant de sociologues tels que Lapassade et Lobrot, mais aussi combien l’intégration de la psychanalyse provoquât des résistances fortes. On rentre dans l’univers de la classe de Fernand Oury, de façon très pratique, à travers les techniques du Conseil de classe, les « métiers », les « ceintures » (une invention pédagogique tirée du judo), la reprise des techniques coopératives apportées par Freinet. On saisit mieux l’enjeu des « classes casernes » du milieu urbain décrites par Jacques Pain et Fenand Oury. On découvre que la pédagogie institutionnelle avait inventé avant tout le monde le « projet individualisé ». Finalement comme dira Jean Oury, souvent sollicité par Freinet pour intervenir dans les congrès de l’Ecole Moderne, « la pédagogie institutionnelle et la psychothérapie institutionnelle, c’est tout comme » ; ce qui est l’occasion de rappeler le passage de Fernand à Saint Alban, l’utilisation de l’imprimerie Freinet d’un instituteur voisin  de l’hôpital dans le pavillon d’adultes dont s’occupait Jean Oury, avec l’assentiment de François Tosquelles ravi de l’expérience. »Tout était là, déjà concentré, comme une esquisse » dira Jean Oury.
Très intéressé par ce livre indispensable, je trouve toutefois que le dossier qu’il ouvre n’est pas loin de se refermer : l’apport de la psychanalyse et l’articulation du pédagogique et du clinique souhaité alors est loin d’être abouti dans l’école française. Il ne l’est d’ailleurs même pas toujours dans les institutions spécialisées ; le travail intensif proposé par les sociologues experts notamment sur la dynamique de groupe et Kurt Lewin aux militants du mouvement Freinet rénové n’a pas donné de résultats certains. Par ailleurs, la dimension politique militante de Freinet, laissé pour mort dans les tranchées de 1917, puis emprisonné sous Pétain pour ses idées réformistes, sa volonté de produire une « école du peuple » en rendant les instituteurs autonomes et conscients de leur pratique et de ses enjeux,-ce qui était insupportable au Maréchal- ne peut se limiter à une opposition bornée à la psychanalyse. On peut sourire en se souvenant  que pendant les évènements de Saint Paul (1932) qui le firent chasser de l’éducation nationale, l’inventeur de l’imprimerie à l’école et des textes libres fut traité de « freudien » par un groupe de notables bien raisonnables auxquels s’était joint l’Action Française. 
     

  • Henri Kegler, Entretiens avec Bernard Montaclair, un instituteur… des institutions, contributions à une refondation de l’éducation, Dozulé, Editions du Chameau, 2014, 220 p., 17 €. (C & S).

J’ose aujourd’hui faire la recension du livre d’un ami. Parlant à Bernard Montaclair de son livre, et cela dés sa réception, j’eus l’occasion de lui dire qu’il s’agissait d’un exercice de piété en quelque sorte. Et j’ajoutai qu’à sa lecture, les gens qu’il décrivait et qui furent des pionniers (lui le premier) me font aujourd’hui l’effet d’allumeurs de réverbères : beaucoup croiront qu’il s’agit d’une période dépassée. Inutile d’ajouter que Montaclair répliqua combien ce rôle modeste lui convenait : « créer là où ça manque, disait-il en substance, une petite,  une toute petite lumière. Cette histoire « qui n’a pas besoin d’être romancé » (4° de couverture) est l’histoire de vie d’un éducateur-créateur. Instituteur  à l’origine conscient que l’école traditionnelle avait échoué pour un certain genre de gamin, Henri Kegler a la chance d’intervenir au début de la protection de l’enfance gérée par l’ordonnance de 1945 où tout est à faire. Il rassemble, il bâtit, il invente, il recueille et il accueille.
Henri Kegler raconte ses influences : le docteur Lemay, le courant rogérien, le père Wresinski de l’association  aide à toute détresse, la pédagogie Freinet avec Fernand Oury et la psychothérapie institutionnelle de Jean Oury». Mais il y a aussi « le scoutisme laïc et protestant qui est à l’origine de la refondation de l’éducation spécialisée. Peut-être de l’éducation tout court « (p.36) On assiste à des miracles ; des professionnels qui n’ont pas encore le vocabulaire technique ni les outils conceptuels d’aujourd’hui se retrousser les manches  « au milieu des engueulades et des coups de pinard » » (p.41) et instituer une fraternité de vie avec des gamins dont certains s’en trouvent si bien qu’ils doublent leur QI en peu de temps (avec l’aide tout de même d’un psychologue complice !). Mais le contexte était différent. « A cette époque, les rapports hiérarchiques n’étaient pas ce qu’ils sont à l’ère des décideurs. Le chef était toujours disponible. On savait s’engueuler. » Kegler à qui on finit par confier la création d’institutions de formations (l’Ecole d’éducateurs d’Epinay en 52 ou 53),  jette un regard sceptique sur le présent en rappelant comme tous les grands pédagogues que celui-ci ne se rêve pas, il s’invente et s’institue. Il imagine très vite une nouvelle façon de travailler, ce qu’on appellera par la suite la « guidance infantile » tellement différente de la « protection de l’enfance » dont on avait parlé jusque là, puis le « milieu ouvert », méthode innovante qui fera par la suite beaucoup d’émules. « Couler du béton, dit-il, construire des centres (on préconise actuellement qu’ils soient fermés ou renforcés), c’est plus facile que de former, accompagner des personnes qui vont au delà des populations .On n’a jamais vu poser la première pierre d’un milieu ouvert. » (p.52).
Ce remarquable ouvrage n’essaye pas de nous ramener vers le passé qu’il décrit cependant avec une rigueur certaine et qui prend sous nos yeux l’allure d’une sorte d’épopée ; au contraire il jette une curieuse lumière sur le présent. Pour revenir à la métaphore du réverbère utilisé au début, elle fait penser au fameux article du poète et cinéaste Pasolini sur la survivance des lucioles[1]pour comprendre notre temps, ce que nous sommes devenus à notre corps défendant. « Les projecteurs ont investi tout l’espace social, personne n’échappe plus à leur féroces yeux mécaniques » (p.32).Et encore : […]« la culture n’est pas ce qui nous défend de la barbarie et doit être défendu contre elle, elle est ce milieu même dans lequel prospèrent les formes intelligentes de la nouvelle barbarie ».(p.35) Le travail de Montaclair, dans sa minutie extrême, sa volonté de rappeler tout ce qui a pu être fait, dans quelle condition l’histoire a eu lieu (il s’agit de l’éducation spécialisée mais cela pourrait être de n’importe quel autre domaine) nous permet de mieux saisir les biopouvoirs qui sont aujourd’hui à l’œuvre. Ceux-ci s’occupent aujourd’hui de l’intimité, du désir humain, de ses pensées, de la politique des corps, nous montre la façon de s’adresser aux pauvres ceux qu’on n’appelle plus : les inadaptés mentaux et psychiques, retardés et rebuts scolaires, errants, nomades, décrocheurs de toute sorte. C’est là la petite flamme que nous montre Montaclair et qui pourrait un jour nous éclairer.
Il serait trop facile de réfuter le propos de cet ouvrage comme venant d’une période passée, définitivement périmée et sans aucun  intérêt, et cela au nom du progrès. Il est trop facile de taxer de romantisme la référence à ce passé-là, si minutieusement décrit. Il permet au contraire de comprendre le passage d’une période éthique à un moment techno-scientifique qui n’est peut être que technocratique, le notre. Je crois qu’on peut recommander la lecture de ce livre à tout éducateur, tout animateur spécialisé ou non, tout enseignant qui aurait envie de se poser des questions sur les origines de son métier et ce qu’il risque de devenir, tout honnête homme qui voudrait comprendre comment aujourd’hui on traite l’enfance en difficulté, c’est à dire l’enfance tout court.


  • Jacques Julliard, Le Choc Simone Weil, Flammarion, 2014,134 p.12€.(C & S)



Jacques Julliard, journaliste et éditorialiste s’attaque à la pensée de Simone Weil. L’autre Simone Weil, la philosophe morte à 34 ans dans la banlieue de Londres, qui eut une « demi-vie »,  ce qui ne l’a pas empêché de parcourir plusieurs expériences vitales. Dans sa démarche de relecture il nous conseille de ne pas faire ses emplettes, comme beaucoup d’autres, au marché Simone Weil « privilégiant pour un sa philosophie, pour d’autres sa politique, d’autres sa mystique » car tout se tient. Il ajoute : «  Je n’ai cessé de plaider pour l’unité profonde de ces trois figures ».Il y a donc la Simone Weil politique qui ira avant bien d’autre à la rencontre du monde du travail pour comprendre la condition ouvrière et qui en tire une conclusion essentielle : « …une révolution politique et même sociale n’émancipera en rien la classe ouvrière si elle ne s’accompagne d‘une transformation technologique des conditions de travail ainsi que d’une participations des travailleurs à la gestion des ateliers. »(p.21)Il s’agit là de la Simone Weil des Réflexions sur les causes de la liberté et l’oppression sociale, écrit en 1934 alors quelle n’a que 25 ans et publié après sa mort seulement en 1955.L’auteur nous entraine aussi vers la Simone Weil mystique, nous montrant de façon limpide ce qui spécifie sa démarche une quête d’un Dieu qui élimine le fatras d’une prétendue culture chrétienne. C’est la fameuse notion d’athéisme purificateur qui en a rendu plus d’un perplexe. « C’est [parce que] que nous avons en Occident une vue personnelle de Dieu, imposée par le christianisme, que les hommes qui ont de lui une vision impersonnelle peuvent se croire athée »(p.104).Ainsi «  chaque fois qu’on parle de Dieu, ce n’est pas de Dieu qu’on parle »(p.109).Jusqu’à la fin de sa vie, Simone Weil sera indomptable, adoptant définitivement une position éthique, pratiquant une solidarité radicale et sans concession avec les damnés de la terre, cessant finalement toute activité militante pour se consacrer à une activité purement philosophique, démissionnant de son poste de rédactrice à la direction de la France Libre, qu’elle accuse de tendance hégémonique. A partir de la pensée de Simone Weil et de son point de vue original sur le monde d’après guerre, -apparaissant dans son maître livre L’enracinement, qui sera publié lui aussi après sa mort  par Albert Camus à la NRF-, Jacques Julliard à la suite de Simone Weil, nous montre une multitude d’aperçus propres à comprendre notre époque. Le point de vue de la philosophe, souvent inspiré de son maître le philosophe Alain et de la pensée Grecque (le « gros animal »de Platon, c’est à dire l’opinion  publique), est plus tragique que pessimiste. De même sa note sur la suppression des partis politiques, texte qui est loin de se présenter comme une dérision, montrant sa méfiance des collectifs où l’homme perd ce qu’il a de plus précieux : sa capacité raisonnante. Car « en matière de réflexion, et même en matière d’information, ajoute l’auteur, l’humanité ne sera jamais sauvé que par quelques uns » (p.55).Un merveilleux petit livre très précis et bien documenté. 


  • Jean CARTRY, Cahiers du soir d’un éducateur, Préface de Maurice Berger,  Dunod 2004. VST.
  
J’ai lu ce petit livre avec un rare bonheur et d’une seule traite, après un comité de rédaction de la revue VST, entre Paris, et le Midi où j’allais faire un  cours pour les élèves psychologues sur l’Institution. Pour une fois, je n’ai pas regardé le paysage, entièrement pris dans la lecture de ce livre génial, surpris de fermer, à regret, la dernière page alors que le train était à quelques kilomètres au  bout du voyage.
Un bouquet d’émotions, des récits, des réflexions, arrachées à la vie, un rappel de visages, une recherche constante de sens.
A partir de petits rien, d’anecdotes et de récits de situations, Jean Cartry montre la vie d’un placement familial et lieu de vie. Qu’il s’agisse des négociations nécessaires ou utiles pour gérer une vie en commun, d ‘une histoire amusante de « gardien du feu », d’une dispute sans conséquence avec sa femme et de ses résonances inattendues chez les enfants placés, les récits se mêlent et s’entremêlent. L’humour joue son rôle, telle cette séance d’équitation plus qu’épique (« Le groupe, je veux dire la bande, non la horde, pénètre dans le centre équestre comme sur une piste de karting. Il faut rassembler les ados, les faire tenir en place, affecter un cheval à chacun et leur expliquer que ça ne fonctionne pas comme une moto volée… »), mais aussi la beauté de choses simples et banales.
On voit les mêmes enfants apparaître et disparaître, sous forme de petites pastilles qui traduisent la vie quotidienne et ses tracas, mais aussi des réflexions sur l’actualité, des lectures mémorables, les crises du collectif, les ruptures, les deuils. La vie, quoi…
Les histoires de vie de Damien, Fanny, Rémi, Grégoire, Quentin, se succèdent, mais aussi, les histoires de poissons disparus de la pièce d’eau, la chatte et sa portée, la vieille Ecole abandonnée par les hommes :« En face, la vieille école va s’assoupir tout l’été, finir en silence, mourir de silence. Le silence des ombres dans la cour. Les odeurs de craie et de respiration tiédie seront confinées dans les classes, avec des visages attentifs, des sourires, des larmes de leçons pas sues, des poussières de participe et des règles de trois, des comptines enfouies, des chansons muettes, des récitations évaporées ».

Cartry aime les livres et s’est nourri d’un Panthéon d’auteurs privilégiés (Levinas, Winnicott, Ricœur, Saint-Exupéry, Oury, Tosquelles et quelques autres) dont la fréquentation l’a soutenu. Il aime aussi la musique de Bach,-comme l’éducateur de « Chien perdu sans collier » de Cesbron-, et ses réflexions ne sont pas exemptes d’esthétique, qu’il bêche son jardin, s’adonne à des activités de repassage, ou écoute sa musique préférée, position qui n’a rien d’une pause. La beauté va se nicher partout, dans les petites choses comme dans les grandes, et aide chacun à poursuivre sa tâche, dans des conditions parfois désespérées.
Et il y a le débat et quelquefois la colère dont Cartry n’est pas exempt. Les associations gestionnaires, aujourd’hui, sont prises dans des phantasmes de rationalité qui frisent l’escroquerie intellectuelle, malgré leur clinquant, et l’on se demande, à l’heure où l’on parle tant de  DRH (Directions des Ressources Humaines), si l‘humain est considéré encore comme une ressource.  « Ainsi, écrit l’auteur, de nombreuses associations gestionnaires d’établissement et services et qui fonctionnent de plus en plus dans l’idéologie du management, s’acheminent lentement  vers une crise profonde de la mutualité qui tisse le lien humain. »
De même certains effets de l’idéologie, de la fausse pensée, qui circule chez les travailleurs sociaux, et qui sont trop souvent proprement toxiques : idéologie de la distance soutenue par une conception erronée de la « résilience », si mal comprise (pour l’auteur, ce qu’il faut proposer à ces enfants « qui   ont souffert d’une pathologie précoce du lien » c’est avant tout peu de relations, mais des relations fiables) idéologie du lien(vouloir à tout prix replacer un enfant a ses parents toxiques),idéologie de la demande du sujet. Mais aussi, un certain nombre d’anecdotes prises dans la vie de tous les jours montrent l’inanité d’un système  de traitement de la délinquance à base de « tout-répressif ».
Bien sûr, l’auteur ne donnera pas des armes ou des outils propres à comprendre les institutions d’aujourd’hui. Il inciterait plutôt à la résistance. L’objectif, nous dit-il, est-il de s’adapter à n’importe quel prix à la nouvelle donne, telle qu’elle est posée par les 35 heures, à la suppression des nuits pour les éducateurs d’internat, aux nouveaux textes réglementaires ?… Faut-il s’adapter à tout prix, comprendre son temps, accepter les institutions, ou au contraire, les incendier au chalumeau comme il le fit, un beau jour, avec une terrible rage, de cette cassette porno qui circulait dans le lieu de vie ?…
Le « vivre avec », chez les Cartry n’est pas une représentation de plus qui permettrait de s’affranchir de la théorie, la mettre à distance, lui substituer une sorte de mystique de l’engagement, mais le creuset de toutes les intelligences, dont celle du cœur, qui n’est pas la moindre.  « Si savants que soient certains auteurs, le vivant de la clinique n’est pas dans les livres. Pour nous, le lieu vivant de la clinique, c’est le « vivre-avec » les enfants qui nous sont confiés et l’observation qui s’étaye sur une expérience conceptualisée. Car ce sont les jeunes qui valident nos hypothèses cliniques pour autant qu’on sache écouter leur « langage symptomatique ».
Si vous ne lisez pas cet ouvrage, ce que je regretterais pour vous, faites le pour le dernier chapitre qui raconte le retour d’un « ancien » en plein désarroi venu apporter son immense détresse à la mort de sa mère, la façon dont celui-ci fut accueilli dans le lieu de vie dans lequel il n’était pas revenu depuis sa jeunesse, la façon qu’il trouva de remercier ses anciens éducateurs. Un morceau d’anthologie illustrant la théorie du don et du contre-don de Marcel Mauss évoquée dés le début du livre.
Pendant mon cours aux futurs psychologues, je devais leur parler de l’institution : je leur ai proposé, bien sûr, les livres de Tosquelles, ceux de Oury, mais aussi ma dernière découverte, le livre de Cartry qui montre où il y a encore de l’institution là où l’on pourrait croire qu’elle s’est absentée, où la théorie vient se nicher dans la pratique de tous les jours, où la poésie et l’humour sont les lieux privilégiés et les armes les plus efficaces de l’éducateur. Merci Monsieur Cartry!

  • Parents, familles et soignants, manuel d’entretiens familiaux en psychiatrieJean-Claude BENOIT, col. « relations », Editions ERES.153 p., 2003. VST.


Murray BOWEN l’inventeur du « génograme », (sorte de tracé qui permettait de retrouver les points essentiels de l’histoire intergénérationnelle d’un sujet) constatait  qu’il était lui-même plus objectif et plus clair sur le fonctionnement de la clinique dans laquelle il travaillait chaque fois qu’il s’en éloignait pour un voyage, « comme si son système émotionnel se refermait dès qu’il pénétrait dans le bâtiment ». Tous les intervenants institutionnels ont constaté cette paralysie, ce carcan dans lequel « chacun se débat au grand dam de ses collègues »et les difficultés à trouver une « bonne prise »,un point d’appui qui permettre d’agir, de voir et comprendre. Bref l’institution est très souvent inabordable. Cela fait penser au syndrome de Gulliver cité dans le livre :le héros ne peut plus bouger « ficelé au sol par d’innombrables petits liens »qui se resserrent lorsqu’il essaye de se dégager de leur emprise comme s’il était impossible d’accéder à plus de lucidité, l’institution thérapeutique entraînant chacun de ses acteurs dans des turbulences qui évoquent la théorie des catastrophes (le modèle de René THOM est utilisé et développé dans le livre).
Dans ce contexte, sans soutien et sans projet, la stratégie des intervenants peut prendre bien des directions erronées : Se placer dans un rôle identique à celui des parents, se laisser gagner par le trop fameux burn-out, accepter de vivre dans une institution « aliénée-aliénante »,se perdre en position « jugeante » par rapport aux familles,  se perdre dans  un  « moi institutionnel non différencié »(BOWEN) ,voire dans la bureaucratie, se laisser aller à des alliances erronées qui produisent la « trahison » du malade. De plus, nous dit BENOIT,dans l’institution psychiatrique, ,se développe « la perception d’un mode d’être quasi familial »constamment évoqué et qui empêche les intervenants de jouer leur pleinement leur rôle auprès des patients.
La présentation de cet ouvrage, vivante et réaliste, passe successivement par des aperçus théoriques sur la notion de double contraintes et de paradoxes (Murray BOWEN, Gregory BATESON, Ronald LAING, David COOPER, Carl ROGER’S),des récits ou de protocoles d’entretiens (le long et passionnant récit du parapluie d’un psychotique venant illustrer sa thèse sur les objets métaphoriques ou autistiques et la façon de s’y coltiner),des constats sur le fonctionnement réel de l’institution psychiatriques et ses apories, en même temps qu’elle propose des modèles opérationnels qui permettent d’aborder la question des entretiens familiaux dans l’institution, d’une façon intelligente et adaptée.

Finalement l’ensemble des difficultés propres à toutes institutions de soin renvoie à des troubles de la communication et même à la question de la métacomunication. Chacun d’entre nous utilise à la fois un langage verbal et paraverbal, à travers lequel il se fait comprendre, et chaque message a son code particulier[1]. BATESON[2],avait fait des recherches sur le sujet au Véterans Administration Hospital, leu de soin pour anciens combattants à Palo Alto, et à la Langley Porter Clinic de San Francisco, et il n’est pas inutile d’étudier tous les contours du fameux double bind.
Pour le comprendre, ce patient, ou du moins s’en approcher il faut mieux définir « l’écosystème »dans lequel il est plongé, faire l’inventaire des espaces-temps dans lesquels se joue sa vie, parvenir à une compréhension qui dépasse le binaire, si présent dès lors qu’on envisage le travail avec les familles (les familles coopérantes, les familles intrusives, les familles perverses, etc) et nous connaissons tous les ravages d’une  pensée binaire.
A la place du jeu d’alliances et mésalliances complexes qui contribuent à « destituer » le patient ou son collègue (BENOIT dit : « disconfirmer ») ou même à denier le symptôme, mis au rang des réalités insignifiante, l’auteur propose un modèle de triangulation tel que FAMILLE-PATIENT-INSTITUTION qui permet de saisir dans toutes leur complexité le sens des comportements adaptatifs (symptômes) du patient et même de l’équipe psychiatrique.
Car le symptôme du schizophrène peuvent avoir pour but « d’influencer une relation »et constituer pour l’intéressé une des conditions de son équilibre (le concept d’homéostasie) et de sa survie.
BATESON qui s’intéressa aux dauphins et aux « primitifs » (La cérémonie du Naven) Ed. de Minuit 1971) nous met sur la voie en nous rappelant que le message de la vie humaine est avant tout paradoxal.  « Tu dois t’autonomiser en tant qu’individu, futur créateur possible d’une famille, mais sans pouvoir rompre les liens vécus pendant ta croissance avec ta famille d’origine. Ces liens demeurent en toi ».(86)
En même temps que se développe le verbal, se noue un «paraverbal» qui s’insinue dans la relation,  permettant de reclasser et de redéfinir chaque message et éventuellement de le contredire ou de le destituer, de connaître le « type logique » auquel il appartient.. Autrement dit, ce n’est pas tant ce qu’on dit qui est important, que le contexte dans lequel on le dit. Le fait pour des infirmiers de ne pas « débusquer »  les paradoxes qui sont en jeu, dés lors que l’institution psychiatrique n’a pas mis en place de procédures propres à les identifier ou les dénouer peut constituer une perte de sens considérable. « Nous avons donc le plus grand besoin de nous appuyer sur des modèles très simples, très significatifs, sources de principes d’actions quasi rudimentaires et fiables dans tous ces paradoxes contusionnant »
C’est par des réunions qui privilégient le modèle de la triangulation en même temps que celui de l’horizontalité et non des dyades (deux contre un), toujours présentes dans l’institution, que cette élaboration est possible. Mais pour ce faire, il faut dépasser le modèle de l’intersubjectivité et de la communication tout terrain sans ordre et sans structure. BENOIT nous montre par un  ensemble de croquis et d’organigrammes comment peut se faire ce passage à une véritable structure relationnelle, repérée en quelque sorte  en plan, depuis une vision globale et aérienne, ce qui suppose l’effort d’un « rétablissement »dans les représentations de l’équipe des intervenants. 
De la théorie d’Alfred KORZYBSKI sur la carte et le territoire, il tire une typologie qui enrichit notre lecture du fait institutionnel et dont la pertinence  est criante. Il y a la carte et le territoire, mais il y ajoute la méthode, et l’outil. Le territoire serait liée aux lieux, aux contacts, aux réunions formalisées, aux statuts des acteurs, ce qui  correspondrait pour la psychothérapie institutionnelle à l’« établissement » en tant qu’il est distinct de « l’institution ». La carte dessine l’ensemble des complications et interactions. La méthode est une mise en ordre, à partir des données de l’un et de l’autre, ce qui ferait passer stricto-sensu de la complication à la complexité-à la compréhension de la « variété » incluse dans un problème. Quand à l’outil, ce sont bien évidemment les réunions, par laquelle les équipes se préparent à  «  se confronter à l’imbroglio familial ».Ces réunions jouent un rôle fondamental, est- il utile de le rappeler à une époque où de positions « gestionnaires »  tendraient à déconsidérer celles-ci comme du temps perdu ?« Notre réussite, inconstante ou très lente le plus souvent, se réalise avec les autres et par leur réussite à eux, égalitairement dirais-je, dans les meilleurs cas, grâce à une croissance institutionnelle similaire ».
L’auteur ne se fait guère d’illusion sur l’institution psychiatrique qu’il a pratiquée au long d’une carrière de psychiatre du secteur public, et les difficultés considérables et la série d’embûches qui peuvent se présenter aux professionnels, qui supposent une véritable clinique de la gestion d’équipes. Il sait de quoi il parle. Il ne donne pas de recettes mais il ouvre considérablement la problématique et aide à réfléchir. Son ouvrage vivant et documenté représente une véritable vulgarisation (au bon sens du terme) de la thérapie familiale, qu’il désigne, dans l’application qu’il en fait, sous le terme modeste d’ « entretiens collectifs familio-systémiques ». Il montre à quel point, une psychiatrie d’aujourd’hui, devenue « zone d’interface entre la psychiatrie et le social, le pédagogique et le psychologique, le médical et le handicap », etc…doit réfléchir à na notion de « crise »-crise du malade, et sa propre crise d’institution- d’une façon complètement renouvelée. Son modèle d’entretiens collectifs familiaux systémiques qui fait intervenir tout à tour chacun des intervenants de la prise en charge, parie sur la capacité d’évolution des acteurs et sur leur vigilance éthique qui se fonde avant tout sur la loyauté envers le patient, sans cesse évoquée.
Plus encore, il insinue dans l’hôpital une vision d’un travail par principe horizontal où les connaissances et les expériences sont partagées et mises en commun, car dit-il,   « l’entretien collectif dit-il, abolit la hiérarchie ». Pour autant, son programme qui concerne tant le thérapeute, que les infirmiers, le chef de service ou le psychologue, attelés à « produire du sens » là où règnent une contamination des injonctions paradoxales et une « panique des familles », n’est en rien teinté de rationalité positiviste. La rigueur n’est pas rigidité et la complexité encore une fois, n’est pas complication. Elle n’exclue en rien chez l’auteur un certain humour, dont BATESON avait fait un principe épistémologique, plus encore une dimension « poétique des relations ».
«Il faudrait, dit l’auteur, que chacun se prépare à l’accueil de l’imprévisible ».







[1] Ce qu’on comprend mieux à travers la fameuse anecdote de l’anthropologue allant accompagner, très exceptionnellement un malade schizophrène chez sa mère, et saisisssant la stratégie de communication de celui-ci à la réaction atone de sa mère et son message discordant devant le bouquet qu’il vient de lui apporter.
[2]Toward a théory of schyzophrénia”  paru en 1956. Republié et traduit ans “Une écologie de l’esprit »Tome 1,1977, Tome2, 1980. Le Seuil.


[1] Georges Didi-Huberman, Survivances des lucioles, Les Editions de Minuit, 2009.


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Recensions de livres de Jean-François GOMEZ par différents auteurs (presse, revues et blogs)



·         Le 18/01/2022


Voici un ouvrage susceptible de vous toucher en plein cœur ! Il nous invite à rencontrer ces hommes et ces femmes qui ne font pas de bruit, qui discrètement, vivent une vie d’artisan ou si vous préférez une vie d’artiste du quotidien. Son auteur Jean-François Gomez n’en est pas  à son coup d’essai. Il en est même à son quatorzième livre.  Il fut éducateur de prévention, puis en institution, directeur d’établissement en région parisienne et à Montpellier. Un parcours somme toute assez classique pour ceux qui ont été nourri par des personnalités telles celles de Fernand Deligny ou de Jacques Ladsous. Il a beaucoup écrit sur le métier, sur l’éthique et le handicap.

De belles rencontres

L’auteur a un regard aiguisé, il sait écouter. Il nous propose dans ce livre une déambulation et des rencontres, des récits de vie, qui n’ont rien à voir avec la méthodologie. Non, il nous fait toucher du doigt ce qui est sensible et l’on se prend à rêver ou du moins à se remémorer ce que tout travailleur social a déjà vécu : des rencontres inoubliables avec des êtres qui ont connu des détresses, mais parfois aussi une vie tranquille.

Dans une première partie, l’auteur nous parle de lui de son parcours singulier et de ses rencontres récentes et passées qui s’entremêlent. Le savoir de ces hommes et femmes qu’il nous donne à voir est empreint de nostalgie. Pas de regret ni de sensiblerie dans tout cela. C’est plutôt un voyage qui nous mène de l’enfance à l’adolescence d’un temps qui n’est plus. Un temps sans écran ni réseaux sociaux. Il donne envie au lecteur d’aller découvrir ce qu’il partage si bien, son pays d’origine qui a sans aucun doute façonné sa personnalité. Il nous emmène découvrir des endroits oubliés de la Camargue au Périgord là où les murs de pierre pétris par le temps et le soleil nous racontent des histoires de vies laborieuses. Ces murs comme les bâtisses écroulées sont autant de témoignages de ces hommes des temps anciens que l’on aimerait tant voir revivre.

Mais passé ce temps, l’éducateur revient à la charge. Il nous laisse entrevoir les fondements de ce métier : une appétence pour l’humain dans sa richesse et sa diversité. Beaucoup de scènes rejouées devant nos yeux nous rappellent à ce que nous avons pu vivre. Je pense par exemple au rejet de l’autre, de celui qui nous est différent grâce à son origine. Triste moment que de se rappeler dans le chapitre 10 ceux qui malgré leurs connaissances et leurs grandes qualités, ne parviennent pas à accepter l’étranger. Heureusement le père de l’auteur alors adolescent su remettre les pendules à l’heure.

Des auteurs inspirants

Cette ballade est faite de nombreuses rencontres avec de multiples auteurs. Chaque chapitre nous propose de (re)découvrir des ouvrages parfois poétiques parfois cruellement ancrés dans le réel. Jean François Gomez nous résume ainsi de multiples livres. En fait il ne les résume pas, il en utilise certains aspects saillants pour développer sa propre réflexion. C’est fort instructif et chacun y trouvera matière à penser.

Les chapitres de cette deuxième partie sont autant d’articles pouvant être lus séparément. On y croise des auteurs célèbres tels la philosophe Simone Weil, Fernand Deligny, Stanislas Tomkiewicz mais aussi moins connus tels Jean Cartry,  ou Patrick Macquaire pour ne citer qu’eux…

J’ai particulièrement apprécié cette rencontre de l’auteur avec Olivier Ameisen  (chap.15). Il nous parle de l’alcoolisme en prenant appui sur son livre intitulé le dernier verre. Il pense aussi à un de ses amis, ami éducateur lui aussi plongé dans cette dépendance au point d’en mourir sans que l’auteur n’ait rien pu faire. Qui n’a pas croisé dans ses rencontres professionnelles des personnes si vives, si intelligentes, se détruisant à petit feu ? Un gâchis disent certains, mais que peut-on faire face à des êtres qui ont tous eu à composer avec une blessure originelle, une félure si profonde si difficile à combler ?

Des passeurs d’humanité

La troisième partie intitulée « éthique et utopie » nous ramène plus spécifiquement aux sources du métier d’éducateur. On y retrouve Jacques Ladsous et son parcours exemplaire, Marie-Madeleine Carbon qui a épousé la cause des enfants handicapés, Jacques Loubet, Francisco Ferrer qui permet à l’auteur de dire que, pour l’éducateur, la présence est un acte en lui-même. Toutes ces chroniques parfois courtes et toujours condensées nous donnent à voir ce que ce métier devrait être loin des protocoles et des procédures.

Les éducateurs sont « des passeurs d’humanité » du moins pour celles et ceux qui savent écouter, prendre le temps avec ceux qui ont été déchirés par les épreuves de la vie dès leur plus tendre enfance. L’auteur nous le rappelle dans son épilogue en nous citant Paolo Freire : « le but de l’éducateur n’est plus seulement d’apprendre quelque chose à quelqu’un mais de rechercher avec lui, les moyens de transformer le monde dans lequel il vit. La pédagogie est une pratique de la liberté.

Jean-François Gomez se prend à rêver : il a envie de croire que les éducateurs de demain « viendront avec leur gai savoir racler ces couches d’ignominie qui empêchent d’atteindre le cœur de l’homme » (et de la femme bien évidemment). C’est le message de ce livre qui vise à lutter contre ce qu’il appelle la catastrophe qui se déroule à bas bruit. Celle de la perte de la transmission. Cet ouvrage contribue à l’éviter si les professionnel(le)s jeunes et moins jeunes s’en saisissent et relie ces savoirs à ce qui se noue aujourd’hui à l’heure des « fakes-news ». L’intolérance et le tapage médiatique qui l’accompagne perturbent les esprits.  Ce livre est aussi là pour nous ramener à la raison ainsi qu’à nous inviter à trouver certaine forme de sagesse.


  • JF Gomez,  éducatif, considérations inactuelles sur le travail éducatif dans les établissements spécialisés, préface de Jacques Cabassut, coll. « handicap vieillissement société », Grenoble, PUG, oct. 2014,252 p., 19€.

La pertinence du titre de ce nouvel ouvrage de Jean François Gomez n’a d’égal que la réalité de la complexité et des embûches qui guettent les travailleurs sociaux aujourd’hui.
Le travail éducatif, déjà déclaré impossible par Freud, est en effet devenu risqué tant il est parsemé d’impasses, de leurres et de chausses trappes, comme autant de pièges tendus à celles et ceux qui s’engagent dans la voie de l’aide aux personnes handicapées : l’approche managériale, les protocoles, la démarche qualité qui supplantent la rencontre, la passion et la clinique n’en sont pas les moindres. Le risque de s’y fourvoyer est bien réel. Ce livre constitue donc un fil d’Ariane qui peut sans doute permettre aux professionnels de sortir vivants de ce dédale d’embuches, après avoir tué peut être ce minotaure moderne qu’est ce monstre à tête de procédures normées et au corps de performance.
Les normes et autres recommandations qui envahissent et polluent les principes du travail social sont ici reconsidérés à l’aulne d’une expérience et d’une pensée en mouvement, comme le dit lui-même l’auteur, et positivement subversive,engageant le lecteur dans une réflexion aux fondements même de sa fonction et de ses finalités les plus enfouies.
Les modèles ou Jean François Gomez puise ses repères sont variés et riches, scientifiques et littéraires : la psychothérapie institutionnelle initiée par Tosquelles et Oury, « l’accompagnateur d’autistes » qu’était Fernand Deligny, des sociologues comme Vincent De Gauléjac, des cliniciens psychanalystes se réclamant de Lacan ou d’autres auteurs, des philosophes comme Emmanuel Lévinas (qui a droit à un chapitre exégétique complet), sans oublier les poètes, tel René Char pour n’en citer qu’un. Et tous les autres, tant la culture de cet auteur est vaste.
Cette culture étaye un texte ou se croisent l’éthique, le politique et le poétique, et parfois même la polémique.
Ainsi en est-il par exemple de la condamnation par l’auteur du comportementalisme sclérosant ou la défense argumentée, n’en déplaise à Simone Veil, de Bettelheim, Maud Mannoni et Yvan Illich. En effet ces trois auteurs sont réexpliqués pour en réhabiliter la pensée, en réponse au discrédit qu’en avait fait un jour la célèbre ancienne ministre de la santé
Loin des injonctions de « bonnes pratiques » qui empêchent de penser (c’est si facile de s’accrocher à ces perches), loin du déferlement des procédures et autre gestionite chronique, fustigeant la judiciarisation et l’avalanche frénétique récente des lois qui conduit à n’écouter que les normes, dépersonnalise les actes et réifie le Sujet, JF Gomez plonge, et nous invite avec lui, au cœur d’une éthique éducative dont sont porteurs les acteurs du quotidien, ces thérapeutes à part entière, dit Michel Lemay.
La fonction éducative tend ainsi au fil des pages que signe l’auteur, à être restituée dans sa dynamique d’initiative et de créativité, mettant en avant la dimension essentielle de la rencontre avec les personnes handicapées mais aussi avec les collègues, intégrant dans le travail la nécessité d’une démarche cohérente. Il s’agit, à l’instar de ce qu’en disait Deligny d’une position à tenir, fusse-t-elle paradoxale, car le para-doxe protège de la doxa, du sens trop commun : c’est à Georges Lerbet, l’un de ses maîtres, que JF Gomez emprunte cet aphorisme. Eduquer est un acte politique, un acte d’invention et de création ajoute Deligny.
Comment peut-il encore en être ainsi, à l’heure ou la clinique devient miséreuse, quand les décisions sont prises hors de toute collégialité, alors que les réunions de synthèses ou s’élaboraient des hypothèses sont remplacées par de pauvres, sclérosantes et ennuyeuses réunions de projets personnalisés « à moins que ce temps ne soit utilisé pour mettre à jour les différentes fiches que les nouveaux textes ont généré », dans un contexte où les formations démanteléeséparpillent la réalité, comme le font les autistes pour tenter de se sécuriser en s’enfermant dans des parcelles de réalité insensées ?
On pourrait penser que, développant les difficultés actuelles du métier d’éducateur, ce livre pourrait s’avérer déprimant, nous mettant devant nos impuissances à lutter contre l’inexorable rouleau compresseur du penser que sont les directives sclérosantes et la perte du sens de nos pratiques…Il n’en est rien : JF Gomez dénonce lui-même « le poison du pessimisme », face auquel nous pouvons agir en menant, à l’instar de Jacqueline de Romilly, des « projets du présent », un présent « rempli d’une stupeur heureuse ».


Au contraire, ce livre est réjouissant en nous montrant les perspectives de résistance  dont nous avons encore le pouvoir… non ! Le devoir ! 

                                                                                                                             Michel Brioul



  • Thierry Goguel d'Allondans, Jean-François Gomez, Le travail social comme initiation, anthropologie buissonnière, Préface de François Laplantine,Toulouse, érés, 2013, 250 p.23 €.


"La magie, à la lecture fascinante des dialogues savamment croisés entre ces éducateurs spécialisés, tient à ce qu'ils sont tout autres qu'agents de l'identité professionnelle qu'ils revendiquent avec passion. En leur compagnie, on se surprend à converser avec les grandes figures qui incarnèrent, après guerre, théories et pratiques institutionnelles du travail éducatif, thérapeutique, social. Ça fait beaucoup de monde. Le dialogue devient débat. On hausse le ton pour faire valoir son témoignage préoccupé quant au sort fait aux plus faibles d'entre nous. Ce n'est plus un livre, c'est un meeting ! A l'agrément et l'excitation du récit des conteurs se heurtent nos identifications et distinctions (au sens de Bourdieu), s'éprouvent rien moins que des procès de subjectivation détournant le risque narcissique inhérent à leur style.




Leurs anthropologies –parce que "buissonnières"- économisent le restrictif et cousinent avec leurs voisines : histoire, sociologie, pédagogie, psychologie, psychanalyse, linguistique et politique. Elles enseignent sur les conservatismes ou les ruptures des représentations, convoquent les hypothèses évitant le suspens du penser. Elles troublent, non par la fadeur de mélanges disciplinaires, mais par la métamorphose de la chimie des rencontres, la transversalité de concepts majeurs et d'emprunts fécondants, toujours. 


L'ouvrage s'attache à quatre temporalités biologiques/biographiques où opèrent les rites initiatiques (concevoir, appartenir, engendrer, mourir) dans leurs nouages, individuels ou de groupes avec des instances communautaires (plus ou moins) prescrites. L'accès aux rites pour les "défaillants", loin d'être effectif, demeure cette "moindre des choses", dont les auteurs témoignent si intensément : "… J'ai pu faire le constat fondamental… d'une confiscation du symbolique chez les personnes handicapées" dit J.F. Gomez. Est-ce à dire qu'éducatif, soin, transmission portent essentiellement sur les formes et les contenus du procès initiatique ou, inversement, porteraient sur ce que ce procès scinde, refoulant renoncement à l'enfance, à l'inceste, aux prérogatives de l'autre sexe, au pouvoir abusif, aux états modifiés de conscience, (folie, onirisme, etc) ? Tout comme l'interprétation de manifestations transférentielles ne se décrète pas, mais se constate -quasi-traumatiquement- prescrivant l'après-coup qu'elle provoque. 


Les auteurs démontrent cette étrangeté essentielle : le triptyque universel de l'échange (les donner-recevoir-rendre) fonctionne fort d'un quatrième terme dénié (le prendre), incluant indifféremment les logiques du délit ou du refoulement. Ce rapt initie des transactions solidaires non exclusivement entre sexes et générations mais pour le travail social, entre nantis ou prédateurs d'une part, démunis ou banis d'autre part. Il ouvre ainsi les légitimités complexes du devenir aidant : initié, sacré, profane, ou professionnel (notre dominante occidentale contemporaine). 


Si l'anthropologie originelle fait de l'alliance (conditions des échanges entre sexes et générations, filiations, transmissions matérielles et symboliques…) son fonds de commerce, le déploiement des théories freudiennes négligent l'obligation (transmettre la vie reçue), au profit du pulsionnel et de l'inceste invasif, hors champ conscient. Le travail social-initiatique près des dépossédés/dépossédants, incarne le "rendre" via un principe de solidarité, antigonien, oblatif, et via des délégations étatiques, techniques, identificatoires, infiniment variables. Refus de la déploration, méfiance de la babellisation ou du collaborationniste en travail social, la performance de l'ouvrage force obstinément à la responsabilité individuelle et collective. La magie éprouvée au partage des dialogues des auteurs, tient à ce que les seuils d'accueil (ou de rejet) des inclusions/exclusions se jouent en des parties jamais soldées quels que soient les leurres qui nourrissent leurs perpétuations. 


  • Marie-Odile SUPLIGEAU, Éducatrice spécialisée – Psychanalyste. Revue VST : Handicap, éthique et institution, Paris, Dunod, 2005, 232 p.,26 €.

La lecture de ce Jean-François Gomez-là est un vrai régal. Recueil de différentes interventions faites par l’auteur en diverses occasions, l’ensemble, loin d’être disparate est traversé par la sagesse qu’apportent une longe expérience et une fibre humaniste qui vibre encore comme au premier jour. Déclinons le titre choisi, pour le vérifier.

Le handicap, tout d’abord, premier terme de la trilogie de l’intitulé du livre. Penser que les fous, les déficients mentaux, les déviants, les pauvres sont sans culture ou d’une culture de second ordre, fonde la discrimination, l’explique et la justifie, s’écrie Jean-François Gomez, revendiquant la nécessité impérative « que la personne handicapée soit respectée dans sa capacité d’entretenir avec les autres humains des échanges symboliques, qu’elle soit sujet et objet de transactions, de dons, d’échanges » (p.74). Travailler avec ces populations qui se présentent souvent comme des cires molles prêtes à s’accommoder de toutes les influences, nécessite d’abord de réfléchir sur sa propre jouissance et d’apprendre à s’adresser à elles, au plus fort de la question de leur propre désir. Mais être à l’écoute du consentement suppose qu’on n’ait pas pris possession de l’autre et qu’on accepte son opacité.

On est là au cœur de l’éthique dont l’auteur affirme que chaque fois qu’elle n’est pas première, elle devient un misérable gadget instrumentalisé : « j’ai eu beaucoup d’idées dans ma jeunesse, sur le handicap, l’institution […] Aujourd’hui, après une longue carrière à me frotter à l’extrême complexité des choses et des êtres, j’ai l’impression de ne rien savoir » (p.179), nous confie-t-il, rajoutant qu’il se méfie de ceux qui prétendent connaître les handicapés, préférant ceux qui, tous les matins, cherchent à les comprendre ! Une telle humilité et une telle circonspection feraient bien d’inspirer tous les donneurs de leçons (qui sont légions dans notre secteur) et les orienter vers les vrais enjeux. Le concept d’éducabilité ne s’est pas construit de façon progressive et harmonieuse. La barbarie essayant toujours de reprendre le dessus, il faut instituer un réflexe systématique de résistance, afin de toujours refuser qu’une vie, fusse-t-elle la plus humble ou la plus démunie, ne puisse jamais être perçue comme étant sans valeur.

Ce n’est pas toujours ce que font les institutions qui peuvent néanmoins, si elles luttent avec courage et persévérance contre leur pente naturelle totalisante et totalitaire et leur prétention à se maintenir dans l’autoréférence, devenir créatrices d’humanité. Une bonne institution n’est pas celle qui se plie aux exigences de l’actif et du passif circulant, aux besoins des fonds de roulement, ni aux impératifs liés aux immobilisations, mais celle où se font des histoires individuelles et collectives, et où chacun étant présent à son parcours, n’est pas toutefois indifférent au parcours de l’autre. Et le cheminement de Jean-François Gomez, que l’on suit au travers des différents textes publiés ici, ne peut laisser indifférent, tant par la sensibilité que par la générosité qui en émanent.

  • Jacques Trémintin, Revue Lien Social, Le temps des Rites, aux Éditions Téraèdre, Ré-édition, 2010, 3è édition (1ère édition en 2001)

Encore un livre sur le handicap. A vrai dire, le dernier ouvrage de Jean-François Gomez détonait quelque peu sur mon bureau. Le temps des rites, handicaps et handicapés côtoyait les déclarations enthousiastes des premiers « paxés » français, l’annonce en première page par le quotidien Le Monde de la publication prochaine de la structure moléculaire complète du chromosome 22 par la prestigieuse revue Nature (le 6 décembre 1999), les rapports, études, projets de lois, bilans de commissions belges ou européennes sur l’euthanasie, la production d’embryons à des seules fins de recherche, le clonage thérapeutique, l’insémination de lesbiennes, les greffes de cellules embryonnaires dans le cerveau de malades atteints d’une chorée de Huntington terminale, les végétaux, microbes et autres animaux transgéniques, les essais décevants de thérapie génique, etc. Que venait donc faire le retard mental dans ce supermarché où s’amoncelaient les promesses vraies ou illusoires de notre médecine et de notre biologie, purs produits d’une civilisation de consommation ? 


Car, après tout, le 19ème siècle fut aussi celui de la découverte du retard mental et de son institutionnalisation ; le 20ème siècle fut également celui des premières exterminations de masse perpétrées sur ces personnes (l’auteur rappelle fort opportunément qu’outre l’Aktion T4, qui coûta la vie à près de 77.000 malades et/ou handicapés mentaux dans l’Allemagne nazie entre 1939 et 1941, la France de Vichy pratiqua la « mort douce » sur 40.000 de ces sujets) : le 21ème siècle, s’il faut en croire les prophètes et autres thuriféraires de la médecine prédictive sera celui de l’éradication définitive (ne fût-ce que par le diagnostic génétique pratiqué systématiquement à la naissance, suivi de l’injection léthale généreusement administrée aux nourrissons non conformes) de ces « fléaux ». Dans le contexte possible de ces formes extrêmes de gestion du cheptel humain, pourquoi s’intéresser encore à ces scories d’humanité – ils en représentent tout de même 3 % - et à leurs lieux d’existence, ces institutions vénérables ? 


Et pourtant, le secteur du retard mental continue bon an mal an d’engendrer des dizaines d’ouvrages, de valeur inégale. Faut-il donc penser que cette pathologie, avec ce qu’elle connote en fait d’altérité et d’étrangeté, continue à fasciner certains esprits et à mobiliser les énergies ? Comme si ces hommes et ces femmes, en incarnant toute la fragilité de notre humaine condition dans leur chair, dans leur psychisme, dans leur esprit, n’avaient jamais cessé d’interpeller, de provoquer, de déranger. Comme si les professionnels les plus lucides qui partagent leur vie – et Jean-François Gomez est de ceux-là – découvraient ou redécouvraient à leur contact la trame secrète, les nœuds refoulés de ce qu’est l’existence humaine authentique. La puissance poétique d’Homère, le génie visionnaire de Tyrésias s’accordaient bien à leur cécité physique. Pourquoi faut-il que ces vies inutiles, réduites bien souvent à se radoter elles-mêmes jour après jour, expriment à fleur de peau ce qui au fond nous est le plus intime : le besoin d’amour, de reconnaissance, de rites, de paix ? 


En refermant ce livre, d’une qualité rare – les dix pages d’introduction figurent parmi les plus pénétrantes que j’aie jamais lues sur le sujet -, on se surprend à mesurer l’appauvrissement que la disparition de ce monde, programmée dans certaines cervelles, causerait aux débats bioéthiques. En y réfléchissant de plus près, on se rend compte que le secteur de santé dans lequel œuvre l’auteur n’est jamais convié aux grandes messes télévisées où sont consacrées les dernières avancées spectaculaires des sciences modernes de la vie. Comme si la biologie et la médecine ne pouvaient pas être confrontées publiquement avec ces réalités qui témoignent de leur inaptitude radicale à tout guérir, tout soigner, tout corriger. Comme si toute remise en question de la croyance inébranlable au progrès indéfini du savoir et du savoir-faire scientifique – qui sera la grande utopie du prochain siècle, aussi meurtrière, aussi criminelle et aussi totalitaire que celles que nous avons connues durant le 20ème siècle – était perçue comme une faute de goût inexcusable dans la mise en scène de ces liturgies télévisées. Après avoir refermé Le temps des rites, on en arrive à se demander si ces progrès tant médiatisés répondent réellement aux problèmes de santé majeurs – et majoritaires – de nos sociétés. Décidément, ce livre sent le souffre s’il conduit son lecteur à des questions aussi manifestement dénuées de sens. Et l’on se surprend à rêver d’un débat télévisé entre généticiens, médecins, présidents de comités d’éthique, éthiciens représentant les plus prestigieuses universités, sur la médecine prédictive, mais où Jean-François Gomez serait convié. Il est parfaitement capable de les confondre.


Parcours exemplaire que celui de cet homme. Ce directeur d’institution –une des plus importante de Montpellier en ce qui concerne le retard mental – fut d’abord stagiaire, ensuite éducateur, ensuite probablement chef d’équipe. Ce qui déjà témoigne d’une réelle originalité. Mais Gomez a fait plus fort. Il a eu le cran, tout au long de son parcours, de prendre sur ses loisirs et sur ses nuits pour étudier et défendre une thèse de doctorat en sciences humaines (Épreuves de vie et rites de passage à travers les histoires de vie des personnes handicapées, 1996, Université de Tours, sous la direction des Professeurs Pierre Peyré et Georges Lerbet).


A la différence de trop nombreux professionnels du secteur, Jean-François Gomez a eu l’intelligence de comprendre l’importance de modèles théoriques pour bâtir et faire vivre une institution moderne, toujours plus humaine. Ce connaisseur expérimenté du terrain est aussi homme de savoir, d’écriture, de culture. Cette complémentarité est rare dans le milieu du handicap. Ce dernier vit trop souvent encore dans une opposition entre le terrain et l’écriture, la générosité et la rigueur, le savoir-faire et l’analyse rationnelle. Sans doute comme Gomez, j’ai côtoyé ces travailleurs sociaux, ces psychologues, ces éducateurs, ces médecins aussi, admirables de disponibilité et de savoir-faire, mais viscéralement troublés dès qu’il est question de publication. Pareille entreprise oblige de se confronter à des questions de méthode, ce qui est souvent mal perçu et mal vécu. Je songe à cette confrère médecin, dévouée à ses malades, confrontée depuis des années au problème dramatique de la séropositivité chez les déficients mentaux, mais qui perdit pied dans un projet international, faute d’avoir su se plier à une méthodologie scientifique rigoureuse. Rien de tel chez Gomez. Il a depuis longtemps compris que les bonnes intentions seules conduisent en enfer ; que le rejet du savoir par le milieu du retard mental est suicidaire ; que le mépris des livres conduit à l’isolement, au silence, à une incapacité totale à peser sur les débats. Ce méridional originaire de Béziers et immergé dans la Camargue, cette Camargue qu’il a tant évoquée dans ses poèmes inédits ainsi que son occitanie natale, a déjà derrière lui une importante œuvre de romancier(Jean-François Gomez, Mort d’un pédagogue, ou l’éducateur et son autre histoire, Toulouse, Privat, coll. Epoque, 1981, réédition. L’éducateur et son autre histoire, Genève, Les Éditions des deux Continents, coll. « Trajets », 1994), et d’essayiste, articulée autour de questions lancinantes : 
Quel est donc ce « métier impossible », celui de l’éducateur (Un éducateur dans les murs, témoignage sur un métier impossible, Toulouse, Privat, coll. « Agir », 1978) ? 
Qu’est-ce qu’une institution ? Que signifie, pour une personne, vivre en institution ? 
Qu’est-ce que la rencontre avec cet autre, handicapé ou malade mental ? Et, à travers cette confrontation ? 
Qu’est-ce que l’homme ? 


Utilisant largement la méthode des trajets de vie (Jean-François Gomez, Rééduquer… Parcours d’épreuves et trajets de vie, Toulouse, Erès, 1992), Le temps des Rites attire l’attention sur une réalité institutionnelle qui n’avait jamais été mise en évidence : l’occultation de la dimension symbolique par les équipes d’éducateurs. L’analyse est sans faille : à l’aide d’exemples et de constats empruntés à la vie quotidienne des institutions – et dans lesquelles la plupart des acteurs du secteur reconnaîtront sans peine leur propre lieu de travail – l’auteur montre ainsi que cette évacuation est non seulement totale, mais aussi pathogène. Il révèle que le refoulement du symbolique aboutit à son irruption inconsciente et souvent faussée dans tous les rouages de la vie institutionnelle (de ce point de vue, l’analyse de la réunion de synthèse, pages 62-66, est magistrale). En se privant d’un recours conscient au rituel « cet organisateur psychique » (pages 70-76) par excellence, l’équipe, avec la meilleure bonne volonté du monde, contribue elle aussi à enfermer ces personnes davantage encore dans leur aliénation.


Un exemple parmi tant d’autres : 


« Sans doute Bettelheim a-t-il eu l’occasion de constater, comme de nombreux professionnels, comme nous-mêmes, combien l’entrée dans un établissement, si elle n’était pas conduite dans le sens d’une initiation, pouvait prendre la forme d’un processus de dégradation. » (page 87)


On en arrive ainsi au constat le plus impressionnant du livre : les personnes handicapées ne sont pas des exclues, selon la terminologie dominante dans la littérature. Elles sont au contraire des inclues, enfermées malgré elles dans un système de vie en définitive conçu selon des schèmes abstraits, et qui évacue, par facilité finalement, la dimension symbolique de l’existence sans laquelle aucun homme ne peut vivre authentiquement. Il y a là une puissance d’interrogation des pratiques et de leurs fondements implicites qui a la force du changement de regard posé sur la personne handicapées inauguré par l’accompagnement multidimensionnel (P. Leboutte et M.-N. Auriol, « An Accompaniment Service for the Handicapped », in Handicaps and Politics, under direction of E. Bockstael, Frankfurt am Main, Peter Lang, 1994).


Cet ouvrage précède de quelques mois un autre texte majeur, racontant l’histoire d’un pensionnaire séropositif, et qui sera le premier témoignage en langue française sur ce qu’est la séropositivité en institution. Il faut espérer qu’il se fera entendre et comprendre.


  • Philippe Caspar, Docteur en Médecine, Docteur ès Lettres, Agrégé de l’enseignement universitaire en philosophie, Fondazione Civitatis Lateranensis : L’éducation spécialisée, un chemin de vie, Récit-journal de Jean-François Gomez, Paris, L’Harmattan, 2007.


Difficile de faire la recension d’un ouvrage étonnant, autant dans son sujet que dans sa forme, éminemment personnel et étrangement humain car ses échos parleront au cour et à la mémoire de tous ceux qui ont œuvré ou œuvrent dans la médico-social.
Difficile, par ce qu’il importe de ne pas trahir le projet de l’auteur qui, via l’écriture, nous confie, sous le voile d’une mise en scène imaginaire, son intimité de directeur de centre accueillant des personnes handicapées mentales.
Difficile, car au delà des mésaventures de Grégoire, personnage sans grande envergure et plutôt malchanceux, c’est la question de l’acteur social qui est abordée, dans sa tête, dans son cœur, dans ses tripes. S’entrelacent des morceaux choisi de journal de bord qui révèlent et soulignent finalement une réalité anthropologique peu évoquée en général : le vécu du travailleur social, son engagement, ses doutes, son combat pour soutenir une pensée menacée d’enfermement dans le côtoiement quotidien, pas seulement avec la maladie mentale mais aussi avec celle de l’institution, aussi vivante que psychasthénique.

Soyons clair : Jean-François Gomez ne soutient pas là une thèse, avec des arguments et des concepts, mais comme il l’écrit dans sa mise en récit, pour le grand public, le travailleur social, l’éducateur spécialisé, le moniteur éducateur, l’aide médico-psychologique, l’infirmier, qui vivent auprès des publics défavorisés ou exclus, restent des silhouettes peu précises dont on ignore l’influence sur les politiques sociales mais aussi sur le niveau de satisfaction ou de mécontentement de ceux qu’on appelle aujourd’hui les « usagers » ou les « bénéficiaires ». Cette méconnaissance, comme toute la fantasmatisation, quand ce n’est pas la mythification ou à la mystification.
Elle prête le flanc aux invectives et aux déceptions. Elle embolise finalement la vie des institutions et bloque l’oxygénation toujours nécessaire de l’éthique d’une société qui se veut humaniste. L’auteur ne cache pas les enjeux du problème. Philippe Sollers, Jacques Ellul, Gaston Pineau sont cités en avant propos pour dénoncer pourquoi l’inventivité s’étouffe dans l’académisme ; le savoir se corrompt au pouvoir ; la pensée se brise en éclats au nom de l’urgence, du pragmatisme ou du marché ; en fait, comment une société technologique et libérale, "traite" à sa manière « ses exclus, ses reclus ,ses perclus ».

« Il faudrait revenir à une observation du rôle des acteurs oubliés et sans grade, pour saisir à travers quelles tensions, quelles disputes, quel travail sur les institutions, dans le passé comme aujourd’hui, le travailleur social a pu produire du sens et de l ’efficacité ». De façon originale quoi qu’un peu déconcertante, Jean-François Gomez nous propose alors d’entrer dans la « boite noire » d’un travailleur sociale par deux portes, celle de la fiction et celle du réel. L’auteur raconte avec authenticité et évidence. Étrangement, les deux entrées ouvrent peu à peu sur la même réalité : un processus anthropologique se déroule, sans mensonges ni enjolivures. Au bout du compte, Jean-François Gomez et Grégoire ne font qu’un, et plus encore le lecteur avec eux, car tout homme investi dans une aventure professionnelle où l’enjeu est la rencontre avec l’autre s’y reconnaîtra. Il ne s’agit de rien moins que de suivre, se laisser étonner. L’acteur social vit, évolue ou se meurtrit dans une microsociologie dont il est à peine conscient mais qu’il assume pourtant. La vie, la sexualité, la mort de ceux qu’on accompagne échapperont toujours à toute tentative de maîtrise rationnelle ou administrative, aussi « spécialiste » soit elle. Approuver ou s’offusquer, qu’importe ! Mais que cette zone d’ombre soit au moins reconnue ! C’est, et rares sont ceux qui ne seront pas touchés, à l’endroit où « ça parle ».

Michèle Lapeyre, Revue Reliance, Toulouse, Erés, n° 29,2008/3.


  • Comment La Mort d'Un pédagogue (réédité par téraedre, en 2005 dans une nouvelle édition revue et complétée d'une nouvelle préface et postface de l'auteur sous le titre L'éducateur et son Autre Histoire ou la mort d'un pédagogue) fut salué à sa sortie :Une recension de Jacques Ladsous, éducateur et écrivain, militant CEMEA dans la revue Liaison


"J’ai lu « La Mort d’Un Pédagogue ».Je l’ai lu sur le pont du paquebot, au retour d’un voyage au Maghreb. Et ceci n’est pas indifférent à ma lecture, car rien n’est plus propice que le paysage sans relief d’une mer plate et lisse pour faire surgir autour de soi la couleur et le modelé des images qui habitent le souvenir.

Et tout ce que raconte Jean-François Gomez sur ce grand père andalou parti en Oranie pour mettre sa force et sa capacité de travail au service de la construction, trouvait dans mes proches souvenirs de voyage des échos, des résonances qui ne demandaient qu’à surgir.

Je ne sais pas si ces raisons sont suffisantes pour expliquer à quel point j’ai dévoré ces pages avec douceur et complicité. Cette recherche des « musiques oubliées », des « ombres et des lumières » sur les paysages de mon enfance, est suffisamment envoûtante en elle même. Car, au delà de cet itinéraire personnel, chacun peut retrouver des sensations fugitives où les chemins se croisent.

Je me suis donc laissé emporter, non par le message, mais par la vie qui se dégage de cette histoire qui n’est ni une biographie desséchée, mais une reconstitution de soi, à l’aide de tous ces repères enfouis qui acceptent de revivre fugitivement au hasard des impressions, comme si l’on feuilletait une vieille caisse de photographies rangées sans chronologie, ni ordre apparent. C’est que l’ordre est déjà un choix ,donc une tentative d’explication, alors que les souvenirs nous révèlent, pêle-mêle, des morceaux constitutifs de nous mêmes, dans le chaos que constitue en nous chaque empreinte de temps, d’espace…ou d’amour…

Accepter que nous soyons chacun ce désordre qui s’organise à certaines épreuves, et se désorganise à d’autres, succession qui fait de nous cet être inconnu et repéré par les autres, mais aussi cet être inconnu qui se laisse apparaître, en certaines occasions, n’est ce pas précisément ce qu’on appelle vivre ? Si le désordre est permanent, toute vie sociale est impossible : c’est l’état de folie. Mais si l’ordre s’installe en permanence, sans humour et sans amour (qui est toujours folie) n’est ce pas un signe de mort ? Les grandes civilisations s’autodétruisent par le règne de l’ordre.

Alors, à l’évidence, si la pédagogie tend à constituer l’ordre comme modèle, elle fabrique des êtres morts, et il est bon, indispensable qu’elle meure à son tour, et que meurent avec elle les pédagogues qui la pratiquent, pour que la vie renaisse. Ils fabriquent eux même leurs propre cercueil.

Mais qui prétend que ce soit l’essence même de la pédagogie ? Ne peut elle être au contraire cet art qui, enseignant les rites sociaux pour les situer comme repères, rend l’enfant, l’homme suffisamment lui-même pour qu’il transcende cet ordre, et sache laisser place au rêve, au désir, à la transgression.


Jean-François Gomez nous invite à faire mourir ce faux pédagogue, castrateur et policier, qui asservit l’intelligence et les corps au nom d’une idée qui n’est que l’alibi d’une organisation. Il nous invite, du même coup, à laisser vivre le vrai pédagogue, celui qui sait être, mais qui sait aussi laisser être ceux qui l’entourent, sans les juger, les canaliser, ni les appauvrir, les invitant seulement à connaître, reconnaître, autant que faire se peut, ou ils en sont, laissant chacun accomplir son destin, sans jamais cesser d’accomplir le leur propre.

La mort d’un pédagogue, c’est la mort de l’image, d’une caricature, d’une rationalisation, d’une certaine forme d’écriture dissertante où les mots auraient un caractère universel. C’est aussi la découverte d’une autre pédagogie, celle du trouvère (du trouveur), du conteur, qui restitue l’histoire à travers ce qu’il ressent lui-même, permettant à chacun de se l’approprier non comme une connaissance, mais comme une résonance de ce qu’il porte en lui."


« Monsieur, comprendrez vous cela ? »

Cité par l’auteur en apologue de sa 3° partie.

Jacques Ladsous

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