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Une nouvelle recension de l'ouvrage "Délivrez nous du management!"

Vient de paraître


Revue Education Permanente, N0 234/235, " Les métiers de la formation à l'épreuve du travail"

                                                   Article de Gaston Pineau


Jean-François Gomez, Délivrez-nous du management ! Monde d’avant et monde d’après dans les métiers de l’humain. Paris, Éditions Libre et solidaire, juin 2022, 213 p.

Délivrez-nous du management ! Un titre engagé, comme le sont la vie de Jean-François Gomez et le nom de la maison d’édition « Libre et solidaire ». Mais il ne faut pas s’attendre à un manuel simplement « anti », à formules rapides, restant prisonnier d’une opposition idéologique réflexe. L’auteur évite « la déploration trop facile » (p. 22) et « fait rencontrer des mondes, loin des images d’Épinal et de l’idéologie » (p. 209). Pour les métiers de l’humain (travail social, santé, éducation, formation...), et en contrepoint des discours formatant, il propose des récits de pratiques nourris d’histoires de vie... et de mort, éclairant et s’éclairant de cette écriture (p. 198). Un deuxième sous-titre départage pour lui l’avant et l’après dans ces métiers de l’humain : « 13 novembre dans un hôpital parisien et autres essais. » L’ampleur et la chaleur de la mobilisation humaine de la prise en charge des blessés de la tuerie duBataclan par le personnel de l’hôpital Saint-Antoine sont au coeur de la première partie : « Le travail en situations. » La deuxième, « Du tragique au doute », analyse le rôle de la guerre et des bascules de la vie, dans la genèse de parcours de personnes créatrices : Deligny, Camus, Freinet, Péguy, Simone Weil, Tosquelles... Et la troisième, « Être, là... », relate son expérience initiatrice de l’apport heuristique d’un premier atelier d’histoires de vie mis en place dans un établissement qu’il dirigeait : « Les récits que je recueillais dans leur incomparable diversité et le temps que je leur consacrais [...] me firent penser que je pénétrais dans un laboratoire où était déposée en secret la pensée éducative dont la richesse vertigineuse échappait au premier regard, trop souvent armée de prétentions savantes quand on voulait l’expliquer ou la conceptualiser » (p. 192). « Chansons de geste d’un troubadour », annonce très justement le préfacier, Jean- Christophe Contini. Ces chansons de geste ne sont pas des improvisations. Elles ont du métier : éducateur puis directeur d’institutions éducatives à Paris et Montpellier, Jean-François Gomez est chercheur et formateur au long cours, poète et écrivain. Voilà presque trente ans, il m’avait fait l’honneur de me demander de préfacer un de ses premiers livres : L’éducateur et son autre histoire. Mort d’un pédagogue (1994). Sa tonalité me l’avait fait relier aux chansons de geste des XIIe et XIIIe siècles, exprimant « une nouvelle conception de l’amour qui a profondément modulé la structure de la psyché occidentale » (Marrou, Les troubadours, 1971) ; j’avais intitulé la préface :«Naissance d’une geste. » Ce sont donc plus de trente ans d’expériences vitales qui s’expriment.

Jean-Christophe Contini, auteur récent deL’éducation spécialisée : l’écriture del’agir, La fabrication du quotidien (2020),présente ainsi l’ouvrage dans sa préface :d’une destruction qui n’est pas créatrice(p. 6) ; des transparents : violence, trauma et novlangue managériale (p. 9) ; du conceptuel au détriment de la présence et du relationnel (p. 11) ; d’une pensée critique: entre poétique, politique et art du geste (p. 14).Ces chansons de geste modernes et postmodernes expriment « la Gestaltung, la forme en train de se faire » (p. 134), au cœur de l’agir quotidien, à l’insu presque de ses protagonistes. Cette forme émerge du regard, du balbutiement, du geste hésitant d’un moindre sujet en formation de lui-même, en autoformation, mais empêtré dans sa gangue périnatale. Et elle n’ira pas plus loin, avortera, si elle ne trouve un espace sociomatériel d’expression, d’ouverture libératrice, c’est-à-dire de naissance grâce à un accueil socioformateur d’accompagnement, d’accomplissement, d’autonomisation en connaissances et reconnaissances de savoirs échangeables. Les chansons de geste de Jean-François visent à actualiser une maïeutique postmoderne permanente (Desroche ,Entreprendre d’apprendre, D’une autobiographie raisonnée aux projets d’une recherche-action, 1990) pour délivrer de l’emprise monolithique d’un management surplombant. S’il est des métiers où le passage paradigmatique des sciences à appliquer aux personnes réflexives s’impose de toute urgence, c’est bien dans les métiers de l’humain (Schön, Le tournant réflexif : pratiques éducatives et études de cas,1991 ; Cifali, Préserver un lien, Éthique des métiers de la relation, 2019). La reconnaissance récente de la spécificité des pratiques de formation comme sciences possibles est un pas important dans cette transition complexe qui prendra du temps, beaucoup de temps. Dans cette transition, le troubadour Gomez, en retraite institutionnelle, nous invite à danser en deux temps – expérientiel/formel – et trois mouvements de tout cours de vie – auto, socio, et éco – à apprendre à rythmer de façon formatrice à tous les âges et dans tous les secteurs. Aux dernières nouvelles, il apprenait justement à jouer du violon.

Gaston Pineau.

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