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Nouvelle publication - Le "gai savoir" des éducateurs , éloge des transparents

J'ai le plaisir de vous annoncer la sortie de mon ouvrage "Le "gai savoir"des éducateurs, éloge des transparents" aux éditions L'Harmattan, collection de Gaston Pineau "Histoires de vie en formation.
Il a été présenté de façon confidentielle à la Librairie alternative de Montpellier Tapuscrit et d'autres présentations et causeries sont prévues à Aigues-Mortes, Nîmes et Montpellier.
Un regard "poéthique" sur l'éducation spécialisée et ses acteurs.Sera disponible à la Tapuscrit et à l'Harmattan


Extrait du livre 
Epilogue  

Le Chant de Lokolela 

Pauvres, voilà bien ce que nous sommes devenus, pièce par pièce, nous avons dispersé l’héritage de l’humanité, nous avons dû laisser ce trésor au mont-de piété, souvent pour le centième de sa valeur, en échange du monde actuel.
Walter Benjamin « Le but de l’éducateur, déclare Paolo Freire, n’est plus seulement d’apprendre quelque chose à son interlocuteur, mais de rechercher avec lui, les moyens de transformer le monde dans lequel il vit ». Pour lui, la pédagogie fut une pratique de la liberté comme le fut la psychiatrie pour François Tosquelles, présent dans ces pages comme il fut présent dans ma vie.
Ce dernier devenait songeur quand il lui arrivait de parler de la guerre d’Espagne (quand il disait le mot guerre, cela avait au moins trois « R » comme une extrême douleur ou une grande insistance). « Si les républicains avait gagné la guerre, commençait-il… ». Il devenait songeur et ne finissait pas sa phrase. Lorsque Freire exilé en Suisse après avoir quitté le Brésil, la Bolivie puis le Chili, développe cette question, la pédagogie et l’éducation sont pour lui un combat sans merci, combat dont il connait le prix. Emprisonné puis expulsé plusieurs fois, il veut alors dénoncer le refus obstiné, dans son propre pays, d’une éducation à visée « concientisante », libératrice, et dialogique.
L’éducateur brésilien insiste sur la nécessité impérieuse de penser par soi-même l’acte éducatif, ce qui a pour corollaire de laisser l’autre le faire à son tour pour lui-même. « Ceux qui souffrent d’invasion culturelle sont voués à être « emplis » de connaissances qui, en général, n’ont rien à voir avec leur vision du monde ». Avant d’apprendre des choses nouvelles, nous dit encore Freire, il faut d’abord écouter les mondes qui sont en nous. Et ce n’est pas une mince affaire pour chacun. Refuser l’invasion, cela ne consiste pas à faire preuve d’ignorance ou montrer son refus de savoir.
Plus exactement, il s’agit de rejeter en priorité les représentations toxiques ou artificielles, les supercheries et les faux-semblants qui voudraient nous capter puis nous diriger vers un autre monde que le nôtre. Un monde sans homme, sans âme et sans vie. « Tout discours sur l’expérience, reprend le philosophe Giorgio Agamben, doit partir de cette constatation : elle ne s’offre plus à nous comme quelque chose de réalisable. Car l’homme contemporain, tout comme il a été privé de sa biographie,s’est trouvé dépossédé de son expérience : peut être même l’incapacité d’effectuer et de transmettre des expériences est-elle l’une des données sûres dont il dispose sur sa propre condition. »
Plus que jamais, des masses de connaissances, d’informations et de prescriptions sont proposées, voire imposées à tous par des bureaux d’études, des agences à la performance et des innombrables « qualiticiens »,-mot nouveau qui reprend ici une hypothèse fameuse de Walter Benjamin, la chute de l’expérience dans le monde moderne montre l’indigence morale de notre époque. Issues d’une pensée conformiste maquillée en éthique ; ces prescriptions s’insinuent dans le cœur de l’homme, devenu fermé à toute expérience personnelle, étranger à toute découverte.
Et pourtant. La forme de liberté revendiquée par Freire et tous ceux dont j’ai évoqué ici la présence et la parole devrait fertiliser toute pratique d’éducation (spéciale ou populaire). Et même parler à la psychiatrie, telle qu’elle se fait tous les jours dans les institutions, à domicile ou dans la rue, avec les « petites mains » que sont les « transparents », les éducateurs, les animateurs et les soignants qui ont fort à faire, loin des propositions conceptuelles maniées par les sachant.
J’ai envie de rêver. De croire que les éducateurs de demain viendront avec leur gai savoir racler ces couches d’ignominie qui empêchent d’atteindre le cœur de l’homme. J’ai envie de penser que nous pourrons échapper à la catastrophe qui se déroule sous nos yeux à bas bruit, celle de la transmission.

* * * 

Je me souviens d’un vieux professeur de castillan qui m’apprit, au Lycée, la langue du grand-père que je n’ai pas connu. Ce transmetteur bon et doux nous parlait du tribunal des eaux dans la plaine de Valence où se réglaient de façon coutumière les litiges entre fermiers, et cela depuis le XIIIème siècle, des biens communaux dans les pueblos et du rôle important qu’ils présentaient pour les villageois, de la façon de distribuer les terres, au Moyen Age, selon les besoins. Mais aussi des latifundias de dix mille hectares, de la réforme agraire, des émeutes d’Asturie, de l’exécution du pédagogue Francisco Ferrer et du pain noir. Sans que le mot de Révolution ne fut jamais prononcé. Il nous expliquait aussi que le Don Quichotte est un livre d’épistémologie.
L’homme actuel apparu il a près de deux cent mille ans, nous disait-il, fut radicalement, puissamment coopératif, ce qui lui permit de venir jusqu’à nous. Il ajoutait aussi que le capitalisme s’appuie sur une fiction, celle de la propriété, faisant paraître comme autre fiction, justement, ce qui fut une réalité très ancienne : la capacité de coopération des hommes. Selon lui, celle-ci était sans limite. Je retrouvais plus tard certaines grandes voix qui semblaient reprendre les réflexions de mon professeur, sûrement anarchiste au sens où les Espagnols l’entendent.
Je connus le médecin et sociologue Gérard Mendel qui essaya de démontrer dans La chasse structurale, comment la collaboration fait partie de la protohistoire de l’homme. J’écoutais le regretté Jean Oury, citant Georges Bataille évoquant cette économie générale, qui permet de gérer/habiter la maison (Oikos). Tous deux avaient rencontré le tragique de la condition humaine. Leur pensée essentielle se fondait sur le collectif. L’un avait vu les gendarmes français venir chercher son père pour les camps d’extermination. L’autre avait consacré sa vie à ceux qu’on dit fous. Cela n’empêche pas l’économiste de service, celui qu’on montre à l’envi au citoyen repu d’images et de conseils, de répéter : « Il faut produire des richesses pour pouvoir les distribuer » !. Voire…
A cela, je me souviens que le sage professeur répondait : « il faudrait conserver nos richesses pour les retransmettre ». Oui, « l’économie générale » est opposée à « l’économie restreinte ». L’économie du rire et de la poésie ne fait plus le poids contre celle de la comptabilité infernale -car beaucoup d’ordonnateurs de la vie aujourd’hui ne sont que des comptables. Sombre malentendu. Les économistes patentés parlent de la richesse (des espèces sonnantes et 247 trébuchantes) quand les « transparents » parlent du monde des hommes et même de la multiplication des pains qui n’est pas forcément un miracle. Avons-nous remarqué que Dame pauvreté, autrefois présente partout, digne et même savante, luxueuse même, s’est emparée de tous les domaines de la vie, devenue triste et envieuse, ignorante et satisfaite, s’insinuant jusque dans l’âme des riches ?
Dans mes pires cauchemars, me vient l’idée que bientôt, l’homme devra apprendre avant tout à accommoder les « restes » qui ne sont pas que matière. « Les masses de déchets que les nouvelles générations rejettent dans la stratosphère ou les nappes phréatiques, écrivait le sociologue Ivan Illich il y a une quarantaine d’années, font pâle figure à côté de la perte de sens, qui est perte du monde, et de l’impotence programmée que nous avons contribué à propager. »
Sacré professeur qui m’a appris la langue de mes aïeux… Je l’ai désapprise depuis, mais n’ai jamais perdu de vue qu’il y a un autre monde bien caché sous celui-ci, un autre monde possible. J’aime à penser que ce vieil homme m’a conduit vers mon chemin de pierres. J’y ai retrouvé le grand-père andalou cassant des cailloux sur les routes et bien d’autres passeurs admirables. C’est à eux que je dédie ce livre.

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